Le commerce n'a pas fermé boutique, il l'a transformée

Qu’importe le pinceau, l’éclat de la peinture, le tableau n’est pas spécialement folichon. Pas question de jouer les Cassandre, juste de poser une réalité structurelle. Le commerce, globalement, navigue dans la houle des heures chahutées. Évidemment, c’est une généralité et certains secteurs s’en départissent sans même ressentir la vague. Reste que, globalement, « c’est bateau mais le commerce indépendant est à la croisée des chemins », pose Olivier Vandenabeele, expert au sein du Service d’études UCM. Et de souligner, dans la foulée, que le commerce indépendant est « pleinement inscrit dans l’ADN d’UCM » et ce, depuis toujours, au point d’avoir organisé des grèves il y a plus de cinquante ans « pour lutter contre l’arrivée des grands centres commerciaux ».

Un autre temps, d’autres méthodes, un combat qui épouse d’autres formes mais garde le même but : pérenniser le commerce indépendant, qu’il soit petit ou grand. Mais celui de papa, de bon papa, a-t-il définitivement tiré le volet, tourné la clé et scellé les cartons ? « C’est de plus en plus difficile, il faut le reconnaître », poursuit l’expert. « Le business model est différent, en tout cas. Au point, par exemple, de lancer deux points de vente dès l’ouverture. Il suffit de se promener dans son village natal. Il y a peut-être plus de commerces mais leur nature a changé. Moins de petites structures, plus de franchises. »

1 Une notion en chantier

En guise de mise en contexte, Olivier Vandenabeele aime préciser que juridiquement, la notion « d’entreprise commerciale » n’existe plus réellement. En 2018, le code de commerce a été abrogé et avec lui, la distinction entre les « entreprises commerciales » et « non-commerciales ».

S’il reste beaucoup de références au commerce dans les réglementations mais aussi dans les usages du quotidien, cette réforme illustre très bien la manière dont les frontières se brouillent. Aujourd’hui, qu’on tienne un commerce, qu’on propose des services, voire qu’on soit titulaire d’une profession libérale, on est avant tout une entreprise. On conçoit l’activité économique et commerciale beaucoup plus largement. D’où cette fameuse « croisée des chemins » et sans doute un peu aussi cette nécessité de « se réinventer ». Comment ? « En se digitalisant, en se diversifiant notamment. »

2 E-commerce mais…

Les grands distributeurs ne cessent d’investir dans ce secteur. Delhaize, par exemple, vient d’inaugurer un nouveau centre de distribution à Forest pour booster son offre. Lointain descendant d’un service qui existe depuis… 1989, les catalogues papier et le téléphone. Forcément, depuis, le code a changé. Reste que, derrière les grosses structures, « il y a assez peu d’e-commerce en Région wallonne », reprend l’expert UCM. « On le sait, le Covid a accéléré la digitalisation. Mais, ce qu’on dit moins, c’est qu’après le Covid, il y a eu un mouvement inverse. Une dédigitalisation. Pourquoi ? Car les commerçants se sont rendu compte que c’était extrêmement chronophage et pas toujours rentable. La logistique, la gestion du stock, le packaging, la livraison… et il est en outre impossible de concurrencer un Amazon au niveau des délais. Il faut donc revoir le business model. Comment ? Via, par exemple, le « phygital ».

3 Le « phygital »

Le mot-valise cherche clairement son élégance. Contraction de physique et digital, il induit en substance un point de vente physique qui intègre les données et méthodes de son alter ego digital dans l’optique d’améliorer l’expérience client dans ses magasins. Et de facto les ventes.

Les bornes tactiles interactives, par exemple, qui permettent la vérification du prix et proposent l’ensemble du catalogue. « C’est une nouvelle réalité », pose Olivier Vandenabeele. « Par exemple, vous avez un magasin de vêtements et donc la possibilité de les essayer sur place. Mais aussi, si la taille est bonne mais que la couleur ne vous convient pas, d’avoir accès à cinq ou six autres teintes. De payer en boutique et de le faire livrer à la maison. Ou de le faire livrer directement en magasin pour ne pas le payer avant. »

L’idée, donc, de mixer les deux mondes et d’en garder « le meilleur ». Avec les IA, une version virtuelle des essayages, via des prises de mesures et une simulation, commence également à arriver.

4 L’article et le conseil

Un magasin de décoration qui propose évidemment des articles de décoration mais aussi les conseils d’un expert. Celui-ci se déplace chez vous, soumet une version personnalisée de votre salon, des lumières à la couleur de la peinture en passant par les cadres. Ou une boutique spécialisée en jouets pour enfants qui va organiser des ateliers. « Plus que la vente elle-même donc. Les frontières entre commerce et service se brouillent. »

Soit finalement, l’essence même du Weekend du client, qui revient pour sa neuvième édition. Et célèbre, d’ailleurs, le lien si particulier qui existe entre le commerçant et ses clients. En substance, aller en magasin, c’est bien plus que « simplement acheter ». « Et ça peut justifier le déplacement, voire même un prix qui pourrait être légèrement plus élevé », pose l’analyste du service d’étude UCM. La fameuse « expérience client ». « Même si le comportement des consommateurs a indéniablement changé, et il faut évidemment le prendre en compte, tout le monde ne veut pas, ou ne peut pas, réaliser ses achats en ligne. Du moins, pas tous. » Les différentes enquêtes réalisées par UCM le montrent, la « fonction commerce » remplit plusieurs rôles. Celui de liant social, notamment. De sortie flânerie, de respiration, de contact… C’est d’ailleurs ce qu’applique Axelle Kefer au sein de son enseigne Little Team. Du digital et des conseils, beaucoup de conseils. On en revient aux deux mondes.

Du côté politique

« Commerce, culture, tourisme,
c’est un tout »

Fabrice Drèze est échevin, entre autres choses, de l’attractivité commerciale de la ville de Liège. Cette fonction reste rare en Wallonie mais ce nouveau souffle pour dynamiser la « force commerce », c’était l’un des points du mémorandum d’UCM lors des dernières élections locales. Soit le projet de société(s) d’UCM pour demain, réparti en multiples thématiques. Mini rappel des faits : l’histoire récente de la Cité ardente reste cahoteuse. Des inondations qui ont impacté et occupés les forces vives à, évidemment, les travaux du tram qui ont transformé le centre en chantier erratique. C’est désormais fini, le tram roule et il doit remettre le centre et ses commerces sur de bons rails. Et pour l’échevin libéral, qui a aussi « l’attractivité touristique » dans ses attributions, le commerce ne peut se concevoir que dans une globalité. « On parle désormais d’expérience client, le commerce se conçoit comme une visite. Je vous donne l’exemple de la Grande Fête du commerce (5 au 8 juin). Elle va proposer des prix mais aussi amener de l’attractivité. Une plus-value pour aller en ville en famille, des animations pour les enfants… Ce qui va permettre à tous les âges de passer un bon moment. Cela peut également passer par un atelier de sensibilisation aux sports grâce à la Province, à un château gonflable... On attire par autre chose que le commerce. A fortiori ce week-end là à Liège où il y aura vraiment des activités partout. C’est un exemple mais le commerce se conçoit pour moi comme une globalité. Commerce, culture, tourisme, c’est un tout. On n’est plus dans le ‘on est obligé d’aller en ville car il nous manque un pantalon’, on a besoin d’oxygène. Et puis on s’arrête dans l’Horeca après par exemple. »

L’échevin insiste, par exemple, sur des circuits touristiques qui incluent le coeur commercial de la ville dans leurs tracés. Ou l’importance de choyer la fédération des autocaristes, en leur créant notamment des espaces dédiés pour stationner, afin qu’ils reviennent en Cité ardente. Fabrice Drèze appuie aussi, à raison, sur l’aide que peut apporter le politique aux commerçants. Comment ? En réussissant à ne pas augmenter la taxe sur les surfaces commerciales, par exemple, alors que la situation financière de la ville est compliquée et que, globalement, les autres taxes ont subi une hausse.

Avec 5.546 cellules commerciales dont 1.156 vides et, au centre-ville, 1.665 dont 404 vides selon les derniers chiffres, l’impression d’un commerce malmené peut être prégnante. Mais elle est surtout liée à une impression. « En découle donc la volonté de travailler sur un cheminement commercial. Mais il ne faut pas avoir de tabou, certaines cellules peuvent être reconverties. 5.500 remplies à Liège, ce n’est plus possible. Mais je le répète, Liège a vécu en dessous de ses moyens et de son dynamisme au niveau touristique ces dernières années. Or on a intérêt à donner cette attractivité pour assoir la place du commerce au coeur de la ville. »

« Un manque de connaissances » sur
toutes les questions d’e-commerce

Pour exister en temps que commerce en 2025, une présence en ligne est quasi-inévitable. Elle peut se traduire par le lancement de sa propre plateforme d’e-commerce. Une démarche à préparer minutieusement mais que les entrepreneurs entament trop souvent en tâtonnant. C’est en tout cas que ce constate Damien Jacob, fondateur de Retis, une agence spécialiste en marketing digital et en e-commerce.

Où se situe la Belgique au niveau européen et mondial quand on parle d’e-commerce ?

Quand on se compare aux autres pays européens, on est dans la moyenne. Ce sont nos voisins du nord, comme les pays scandinaves, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas qui sont les plus dynamiques en la matière. À l’inverse des pays du pourtour méditerranéen qui ont une activité qui est moindre, tant au niveau de l’offre que de la demande.

Comment expliquer cette différence ?

La Belgique a un tissu de commerces de proximité. Le consommateur y trouve très bien son bonheur en termes de commerce physique par rapport à d’autres pays comme la France où il y avait déjà une tradition de vente par correspondance par le passé qui a évolué vers de l’e-commerce. Ce qui est moins compréhensible, c’est notre retard au niveau de l’offre et donc du nombre d’entreprises qui exploitent le numérique pour développer leur activité. Il y a peut-être un réflexe chez nous qui veut qu’on a toujours fait comme ça et qu’il est donc plus difficile de modifier ses habitudes.

Peut-on parler carrément de frilosité ?

Oui, mais il y a aussi une véritable méconnaissance de ce qu’est l’e-commerce : beaucoup de sociétés qui se lancent ne le font pas dans les règles de l’art, de nouveau par méconnaissance. Beaucoup nous demandent quelle est la bonne plateforme pour vendre en ligne. Mais c’est un petit peu comme si on nous demandait quelle était la bonne voiture pour rouler. On parle de voiture mais peut-être que la personne a besoin d’un tracteur, d’un bus ou d’un char… L’enjeu est ailleurs.

Quelle est la bonne question à se poser du coup ?

La première réflexion à avoir concerne sa stratégie. Sur quel marché je vais ? Qu’est-ce que je propose ? Comment je vais me démarquer de la concurrence, qu’elle soit directe ou indirecte ? Quelle proposition de valeur ajoutée je vais pouvoir apporter ? On ne doit pas forcément opposer le commerce physique et celui en ligne. Les deux sont très complémentaires. Je pense à ce commerçant de Charleroi qui voulait faire de l’e-commerce seulement pour les gens autour de Charleroi car il connaissait bien la région. Mais pourquoi se limiter à cette zone ? Cette personne n’a même pas examiné la concurrence qui existait par rapport à son offre. Ce sont des questions parfois basiques qui ne sont pas assez mûres, ce qui explique qu’une entreprise sur cinq abandonne sa stratégie d’e-commerce au cours des 18 premiers mois.

Quel est le frein essentiel au développement de l’e-commerce selon vous ?

On constate que c’est le manque d’informations. Ce qui est assez paradoxal parce que beaucoup d’efforts qui ont été faits en Wallonie, justement au niveau financier, pour faire des webinaires ou encore des séances d’information sur le sujet. Mais cette info est restée trop généraliste. Dès qu’on entre dans le concret, on voit que beaucoup sont mal informés.

Est-il possible de se développer aujourd’hui en tant que commerçant en se concentrant uniquement sur le physique ?

Oui tout à fait ! Même si c’est de plus en plus dur de se passer du numérique, notamment pour se faire connaître ou fidéliser ses clients. Mais je reviens à l’importance de la stratégie. Une entreprise qui vend des chaussures pour enfants est venue me trouver un jour pour des conseils. Elle voyait que beaucoup de gens utilisaient Zalando et trouvait que c’était pas mal de se lancer en ligne. Je lui ai dit que c’était très bien, puis je lui ai demandé quelle était sa valeur ajoutée. Elle m’a répondu son expertise car elle s’était formée spécifiquement là-dedans. Là, l’e-commerce a moins de sens. Je lui ai expliqué qu’elle devait davantage mettre en avant son expertise sur un blog ou les réseaux sociaux, notamment via des témoignages de clients contents. Car le but était qu’elle continue à donner ce conseil si essentiel en physique. C’est ce point qui pouvait expliquer la différence de 20 euros entre les chaussures vendues dans son magasin et sur certaines plateformes en ligne. La vente en ligne aurait, elle, fait perdre toute la valeur ajoutée de ce commerce.

L’e-commerce a connu un véritable boom pendant le Covid avant de s’essouffler par la suite. Comment l’expliquer ?

On remarque cette tendance partout. En Belgique, en Europe, au Royaume-Uni, aux USA… Durant cette période, le consommateur a opté massivement pour le commerce en ligne car il n’avait pas le choix, puis il a repris ses habitudes. Mais quand on voit les courbes sur dix ans, on constate que le taux de croissance est très stable. Après, attention, la croissance du commerce en ligne reste supérieure à celle du commerce physique.

Litte Team, à Andenne et Hannut

« Je considère mon site comme
mon troisième magasin » 

Basée à Andenne et plus récemment à Hannut, Little Team est « une joyeuse boutique pour enfants de 0 à 12 ans », pour reprendre la description pleine de couleurs de sa page Facebook qui regorge de publications chamarrées. Car, plus que jamais, Axelle Kefer, la gérante de l’enseigne, utilise la force du commerce en ligne qu’elle combine à l’art du contact et du conseil en boutiques. « Je considère mon site en ligne comme mon troisième magasin », pose-t-elle sans sinuosité. « Aujourd’hui, je pense vraiment que ce serait impossible de s’en passer », poursuit celle qui a lancé son site pendant « l’effervescence en ligne » du Covid. « Pendant cette période, j’ai remarqué que je faisais énormément de ventes via Facebook. C’était dingue. Les messages sur Messenger, les virements, le délai parfois entre les banques… On perdait vite quatre à cinq jours. J’ai donc lancé mon site. »

Histoire, donc de fluidifier le processus. Avec 1200 références, des jeux en bois aux doudous en passant par les gigoteuses ou les vêtements aux tailles multiples, son enseigne regorge de trésors qu’elle publie avec célérité sur ses réseaux. « La concurrence est très rude dans le secteur. Pour le textile par exemple, on a très peu de temps pour liquider le stock. Et on doit composer, s’adapter avec la météo. S’il fait moche mais que je n’ai que du ‘plein été’, c’est ‘relou’. On n’a donc pas le choix, on doit être hyperactifs. Si la marchandise arrive à 10h, elle est en ligne l’après-midi. J’ai des clients qui vont sur le site tous les jours. Le commerce en ligne est vraiment devenu une habitude. »

Pour autant, pas question pour Axelle Kefer de songer à abandonner le commerce dit physique. Elle qui surnomme ses clients les ‘Jojo’ et est en retour appelée ‘Mama Jojo’ par certains petits bouts. « En référence à Josette, un ‘nom de vieille’ que je trouve super mignon. C’est un ralliement, ça humanise », sourit la commerçante. Il est évidemment là, ce lien si particulier, ce plaisir du contact et de l’échange. « Arrêter les magasins physiques ? Non, j’aime trop ce contact-là. Et la boutique vous offre en plus quelque chose que le web ne permet pas, l’achat impulsif, le coup de cœur. En ligne, on achète ce qu’on a vu, on voit le montant du panier et on s’arrête. Or, chez moi, 85 % des achats, ce sont des cadeaux », expose-t-elle.

« Donc, je ne crois pas que j’arrêterai un jour. Mais c’est certain que si je m’assieds et réfléchis, je paye 4 000 euros de loyers. Si j’investis la même somme en publicités en ligne, je vais toucher 100 000 personnes par jour. Il n’y a aucun centre-ville qui peut m’offrir ça... Ce serait tellement plus facile de ne faire que du web, de ne pas devoir composer avec des loyers qui sont chaque année indexés. Pas besoin de déballer la marchandise, de mettre sur les cintres… J’achète des meubles à tiroirs, je tape tout par tailles et c’est fait. Mais je ne le fais pas, je fais confiance en l’achat local. »

"Arrêter les magasins physiques ?
Non, j’aime trop ce contact-là. Et la
boutique vous offre en plus quelque
chose que le web ne permet pas,
l’achat impulsif, le coup de coeur."

La version « online » vient en fait s’insérer dans le processus. Donner du relief à des journées plus calmes. « Oui, c’est exactement ça », reprend la spitante gérante. « Concrètement, il y a des journées où je vois peu de monde mais les ventes en ligne font que c’est en fait une journée normale. Aujourd’hui, on doit tourner aux alentours des 30 % via le site et ça ne fait que grimper. Et ça va continuer, c’est certain. Je plains les commerces qui ont trente ans et qui, têtus, sont trop fades pour ouvrir un site. C’est de cette manière qu’on met les choses en avant. C’est ça qui fait vendre », poursuit Axelle Kefer, qui réalise souvent des lots de vêtements à prix réduits qu’elle publie sur les réseaux.

« Le site permet d’éponger les erreurs, il permet de s’en sortir. Notamment avec ces braderies en ligne. La chose qui est un peu dommage, c’est qu’en ligne, le bouche-à-oreille a moins de force que le référencement. Les gens y achètent le prix et pas le conseil, le contact… »

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