Georges Gilkinet

Vice-premier ministre Écolo en charge de la Mobilité
10/02/22

Journaliste de formation, écologiste de conviction, il débute sa carrière à la télévision locale de sa ville, Namur, et est actif dans des organisations de jeunesse. Il entre réellement en politique en 2001, au cabinet de Jean-Marc Nollet, ministre de l'Enfance, puis comme conseiller au groupe Écolo de la Chambre.

Il est député fédéral depuis 2007, accumulant une expérience qui le désigne comme chef de file des Verts au sein du gouvernement De Croo (octobre 2020). À 51 ans, père de deux enfants, sportif, il vit et travaille selon ses convictions, sainement et sérieusement.

Pour la mobilité, je mène une révolution

Les décisions sont prises pour doubler le trafic ferroviaire de marchandises d'ici 2030 et passer à un parc de voitures de société réduit et tout électrique en 2026. Le ministre de la Mobilité défend son action mais aussi celle du gouvernement fédéral où il est vice-premier.

Thierry Evens

Les constructeurs doivent proposer des voitures électriques moins chères.
  • - Vous êtes ministre fédéral de la Mobilité. La priorité, c'est le chemin de fer ?

    - L'accord de gouvernement prévoit de faire du rail la colonne vertébrale de la mobilité de demain. Nous voulons réaliser un "shift modal", un glissement, attirer davantage de personnes et d'entreprises vers le train.

  • - Comment ?

    - Grâce aux moyens européens confiés à la Belgique, en ajoutant des fonds propres, nous pourrons investir 615 millions d'euros d'ici la fin de la législature, en 2024, avec deux grands axes. Le premier, c'est l'infrastructure matérielle : des trains et des gares accessibles à tous les publics avec des quais au même niveau que les wagons, des parkings pour voitures et vélos, des connexions améliorées avec les bus… Le second axe, c'est la digitalisation du réseau. Nous allons à la fois améliorer le service aux clients et optimaliser la gestion des flux. J'ajoute qu'il faudra des voies supplémentaires pour faciliter la circulation des trains de marchandises, en particulier au port d'Anvers et au Trilogiport de Liège.

  • - Quelle est votre ambition pour le rail ?

    - Doubler le trafic marchandises d'ici à 2030. C'est une demande très forte des entreprises, mais c'est bénéfique pour tout le monde. Un train en plus, c'est cinquante camions en moins ! Vous imaginez l'impact sur l'environnement, la sécurité et les embouteillages. Un indépendant coincé une heure dans un bouchon perd une heure de travail et s'il y a des ouvriers dans la camionnette, le compteur des salaires tourne. Le coût des embarras de circulation est estimé à 5,4 milliards d'euros par la Febiac (fédération de l'automobile, NDLR) et cela pourrait monter à 8 milliards. Investir dans la mobilité ferroviaire est une nécessité.

  • - Pour les voyageurs, est-ce que les prix – qui viennent d'augmenter – ne sont pas trop élevés ?

    - Les tarifs sont adaptés à l'inflation. Toutes les formules de pass et les offres promotionnelles rendent le train accessible. Nous avons aussi progressé pour les trajets entre domicile et lieu de travail avec la possibilité du tiers payant, que l'État paie la part de l'abonnement non remboursée par l'employeur. La SNCB a besoin de la vente des billets pour payer son personnel et faire rouler les trains.

  • - La gratuité n'est pas une bonne idée ?

    - Elle a un prix ! Rien n'est gratuit dans la vie. Ce n'est pas anormal de payer un billet de train. Ce qui est nécessaire, c'est qu'il soit accessible à tous les publics, aux jeunes qu'il faut fidéliser comme aux aînés actifs qui peuvent profiter des heures creuses. Nous devons avoir des politiques tarifaires ciblées.

  • - Pour aller dans le sud de la France, à Vienne ou à Milan, l'avion est beaucoup moins cher que le train…

    - Malheureusement ! Nous travaillons à recréer des liaisons ferroviaires vers Vienne – c'est fait –, Berlin, Prague, le sud… Nous avons exonéré des frais de sillon, pour l'usage du réseau, les TGV et les trains de nuit. Nous devons repartir de zéro dans un contexte où l'avion a un avantage concurrentiel démesuré avec le kérosène libre de charges. L'impact sur l'environnement n'est pas pris en compte.

    Voitures de société : faire évoluer les choix

  • - Les particuliers qui achètent une voiture sont moins de 2 % à choisir des véhicules électriques. Il ne manque pas un incitant ?

    - C'est de la compétence des Régions mais oui, sans doute, il faut privilégier les modèles qui n'émettent pas de CO2. Cela dit, il faut d'abord et surtout que les constructeurs proposent des modèles moins chers et moins lourds. L'avenir de notre parc automobile est électrique, c'est évident. Quand vous voyez le prix des carburants à la pompe aujourd'hui, celui qui dispose de panneaux photovoltaïques et qui peut recharger sa voiture à domicile bénéficie d'un sacré avantage ! Il faut encore trouver des solutions technologiques pour fabriquer des batteries plus légères, plus économes en métaux rares, plus recyclables. L'industrie automobile y travaille très activement.

  • - Faut-il décourager l'octroi des voitures de société ?

    - Distinguons les voitures outils, nécessaires au travail, et celles qui sont en réalité du salaire. Nous en avons énormément et nous avons entamé une évolution en prévoyant leur passage à l'électrique en même temps que se développe le budget mobilité. Il reste peu utilisé mais les réformes introduites vont changer les choses. L'objectif n'est pas de mettre fin à un avantage dont il est difficile de se passer, je le comprends. L'objectif est de faire évoluer les choix vers de meilleures solutions : un vélo électrique et une enveloppe qui profite à l'ensemble de la famille, une intervention dans les frais de logement pour habiter à moins de dix kilomètres de son travail, etc. Nous devons réduire nos émissions de CO2 de 55 % d'ici 2030 et la mobilité représente 30 % de ces émissions. Nous n'y arriverons donc pas sans changer nos habitudes, par exemple partager les voitures…

    Le nucléaire, c'est fini

  • - Les objectifs climatiques fixés à la COP26 sont suffisants ?

    - Nous, écologistes, voudrions des engagements plus forts et plus rapides. En matière de chauffage et d'isolation des maisons par exemple, il n'y a aucune raison de tergiverser. Il y a un triple bénéfice. Les ménages consomment moins d'énergie et paient donc moins cher. Les émissions de CO2 diminuent. Et cela crée des emplois en masse, pour soutenir l'objectif du gouvernement d'atteindre un taux d'activité de 80 %. Ce qui est d'ailleurs la meilleure manière de financer la sécurité sociale et les pensions.

  • - Vous présentez la transition économique comme une opportunité. N'est-ce pas angélique ? Il y aura un moment difficile…

    - Pourquoi ? Parce que nous dépendons encore du pétrole, du gaz, de l'uranium. Ce que nous proposons, comme écologistes, c'est produire au plus vite l'énergie dont nous avons besoin par le renouvelable, qui est moins cher et dont le coût est plus stable. C'est tout le contraire de l'angélisme, c'est du volontarisme ! Consommons moins, consommons une énergie accessible et indépendante de la demande mondiale et nous créerons au surplus des emplois.

  • - Changer de modèle ne sera pas nécessairement douloureux ?

    - Au contraire. Ce qui est douloureux, c'est de ne pas changer de modèle, de continuer à dépenser des centaines de millions d'euros pour acheter des énergies fossiles en Russie ou dans les pays du Golfe, qui ne sont pas des modèles de démocratie. Rendons-nous indépendants rapidement avec des maisons bien isolées, du chauffage par le sol, des pompes à chaleur, des panneaux photovoltaïques…

  • - L'énergie nucléaire, c'est fini ?

    - Oui. Nos centrales sont en fin de vie, puisque rien n'a été fait pour les prolonger depuis vingt ans. Le nucléaire est dangereux et nous n'avons aucune solution pour les déchets.

  • - Il faudra donc consommer davantage de gaz et émettre du CO2…

    - De façon transitoire, avec des centrales dernier cri qui pourront se mettre en marche rapidement pour faire face aux pics de la demande. Et qui pourront fonctionner demain avec d'autres sources d'énergie comme par exemple l'hydrogène vert, produit avec les surplus de production de l'éolien ou du solaire. Passer par le gaz permettra, en Europe, de fermer des centrales au charbon bien plus polluantes.

  • - Certains pays investissent dans le nucléaire et les minicentrales…

    - Ces technologies ne sont pas mûres. Ces minicentrales n'existent que sur papier. La France a investi des milliards d'euros sans succès. C'est une fiction de croire que l'énergie nucléaire est bon marché et facile à développer, alors que nous ne savons toujours pas quoi faire des déchets. Le projet fondamental des écologistes est de laisser une Terre viable à nos enfants. La seule solution est le renouvelable.

    "Nous avons déjà fait beaucoup de choses"

  • - Vous êtes vice-premier dans le gouvernement Vivaldi. Il va enfin commencer à travailler après la crise ou il est déjà à bout de souffle ?

    - Mais pas du tout ! D'abord, nous avons déjà fait beaucoup de choses depuis le début de la législature. Nous avons relevé la pension minimum à 1.500 euros par mois. Un accord social interprofessionnel a été conclu avec une augmentation progressive du salaire minimum. Nous concrétisons un mini-tax shift. Nous avons réformé le système des voitures de société. Nous avons pu faire contribuer les comptes-titres en les taxant. Il est clair que, comme tous les gouvernements en Europe, nous avons été très mobilisés par la gestion de la crise sanitaire. C'est un événement terrible qui a nécessité des décisions en urgence en soins de santé, pour soutenir l'économie, les parents… Nous avons dû prendre des mesures – j'étais à la manœuvre mais je le reconnais – qui posent question par rapport aux libertés démocratiques. Tout cela a été difficile et à sept partis, ce n'est pas évident. Mais on l'a fait !

Le système proportionnel belge, de nuances et de concertation, a des avantages.
  • - Sera-t-il possible, à sept partis justement, de terminer la réforme des pensions, de revoir l'impôt des personnes physiques ?

    - L'accord de gouvernement nous impose de travailler avec comme objectif 2030. Donc, si ce n'est pas possible sous cette législature, nous devrons avoir des travaux préparatoires pour y arriver dans les six années qui suivront. Moi, en mobilité, c'est une révolution que j'essaie de faire. Qui aurait pu penser que nous finaliserions un accord sur les voitures de société qui donne une perspective à cinq ans ? Gouverner à sept, c'est vrai, c'est compliqué. Mais notre gouvernement n'est ni antisocial, ni climatosceptique, ni cynique. Nous croyons que la Belgique a un rôle à jouer en Europe et qu'une collaboration est possible entre l'État fédéral, les Régions et les Communautés pour donner un avenir à la planète et à nos enfants. Quand je vois ce qui se passe au Royaume-Uni, en France ou aux États-Unis, je trouve que notre système proportionnel n'a pas que des défauts. Il permet d'agir dans la nuance, dans la concertation et de ne pas se précipiter.

  • - Vous avez mis en œuvre l'accord social pour contrer l'absentéisme dans les entreprises, alors que la FGTB s'y opposait. Le syndicat socialiste est mis de côté ?

    - Non. Face au variant Omicron, moins dangereux mais plus contagieux, il était nécessaire de prendre des mesures temporaires de flexibilité. Cinq partenaires sociaux sur six étaient d'accord, c'était suffisant. C'est tout…

  • - Est-ce que la loi de 1996, qui encadre les hausses de salaire, va sauter comme le veulent les syndicats ?

    - Ce n'est pas prévu dans l'accord de gouvernement, donc non. Pour moi, elle peut cependant évoluer. La loi de 1996 veut sauvegarder la compétitivité, mais la compétitivité n'est pas qu'une question de salaires. On voit clairement maintenant l'importance de la maîtrise des coûts énergétiques par exemple.

  • - Est-ce que la situation budgétaire est inquiétante ?

    - Oui parce que, pour ne laisser personne au bord du chemin et soutenir notre économie, nous avons dû dépenser des dizaines de milliards d'euros. Non parce que l'Europe a décidé d'assouplir ses règles budgétaires et, pour la première fois, de s'endetter collectivement pour financer la transition écologique. Ce que nous devrons faire au plus tôt, c'est retrouver une trajectoire budgétaire tenable. Pour cela, nous devons poser les bons choix d'investissements pour créer de l'activité et des emplois.

    Un débat pour apaiser

  • - Est-ce que le débat sur l'obligation vaccinale n'arrive pas trop tard ?

    - C'était difficile de le tenir plus tôt dans de bonnes conditions puisque le Parlement ne pouvait même pas se réunir pendant de longs mois. Nous, écologistes, souhaitions un débat. Peut-être qu'il arrivera à la conclusion que l'obligation vaccinale est une question qui n'a plus de sens. Mais il peut servir à réconcilier les citoyens avec notre mode de prise de décision. Je trouve important d'avoir un temps de partage et d'analyse sur la pandémie et peut-être de se préparer pour le cas où une situation du même type se reproduirait. Nous devrions être moins démunis et mieux réagir. Nous avons vécu des moments terribles. Beaucoup d'entre nous ont perdu des amis, des parents. On s'est privé de liberté. On a empêché les gens de se voir, de travailler. On a fermé les écoles et la culture.

  • - Le débat permettra de faire mieux si, par malheur, une pandémie se reproduisait ?

    - Je l'espère. Évidemment, des erreurs ont été commises. Même dans la terminologie : parler de secteurs non essentiels, quelle vexation pour tous ceux qui ont pris ça dans la figure ! J'espère que ce débat pourra apaiser les citoyens qui sont en colère, les acteurs économiques qui ont perdu de l'argent, les enfants privés d'activités sportives, les opérateurs culturels qui ont rongé leur frein… J'espère que ce sera le point final de la pandémie. Un débat n'est jamais inutile. C'est salutaire d'entendre les personnes qui ont dû prendre les décisions s'expliquer et de remettre en cause les certitudes.

Contexte

Écolo

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Georges Gilkinet incarne la ligne verte, qui se veut loyale et déterminée. Sera-t-elle visible et payante ?

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