Entrepreneuriat fémininDes ambitions politiques aux réalités de terrain

Caroline Cleppert, secrétaire générale UCM.
Chaque année, UCM – Réseau Diane publie le Baromètre de l’entrepreneuriat féminin, un outil de référence sur l’évolution des femmes dans le monde entrepreneurial en Wallonie et à Bruxelles. L’édition 2025 met en évidence une progression continue du nombre de femmes indépendantes, mais aussi des inégalités persistantes, notamment en termes de revenus et d’accès aux opportunités économiques.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à entreprendre. En 2023, elles représentent 35 % des indépendants en Belgique, avec une progression de +1,99 % en un an. En Wallonie, ce taux atteint 37 %, contre 29 % à Bruxelles. Mieux encore, sur les cinq dernières années, plus de femmes que d’hommes se lancent en Wallonie et à Bruxelles. Cependant, des écarts subsistent. Si la Flandre enregistre la plus forte progression de l’entrepreneuriat féminin (+2,23 %), Bruxelles et la Wallonie stagnent (+2,06 % et +1,47 %). L’écart de revenus reste un frein majeur : les femmes gagnent encore 35,58 % de moins que les hommes, avec des disparités marquées selon les secteurs. Il est urgent de valoriser l’indépendance comme un choix professionnel viable et attractif.
Des ambitions politiques, mais des moyens à préciser
La Wallonie affiche un objectif ambitieux : augmenter significativement le nombre de femmes entrepreneures d’ici 2029. Mais qu’entend-on par « significatif » ? Aucune cible chiffrée n’est précisée. Trois leviers sont avancés : Sensibilisation, Accès au financement et Équilibre entre vie professionnelle et privée. À Bruxelles, la Déclaration politique de 2019 mettait en avant l’entrepreneuriat féminin, notamment via les rôles modèles féminins dans les STEM. Qu’en sera-t-il dans le prochain accord de gouvernement ? Bruxelles reste la région la moins dynamique en matière d’entrepreneuriat féminin. Mais ces ambitions suffiront-elles sans une stratégie nationale coordonnée ?
De l’intention à l’impact : où sont les leviers concrets ?
1. Sensibilisation : un premier pas, mais pas suffisant Promouvoir l’entrepreneuriat féminin dès l’école et multiplier les rôles modèles sont essentiels, mais ne suffisent pas. En Flandre, où la culture entrepreneuriale est plus forte, l’initiation aux bases de la gestion d’entreprise commence dès le secondaire. Wallonie et Bruxelles doivent s’en inspirer. Sans financements et accompagnement adaptés, la sensibilisation restera un vœu pieux.
2. Financement : le nerf de la guerre L’accès aux capitaux reste le principal frein pour les entrepreneures. Seuls 3 % des levées de fonds mondiales en capital-risque concernent des start-ups fondées par des femmes. Il est impératif de renforcer les financements ciblés et d’inciter les investisseurs à intégrer davantage la diversité dans leurs choix.
3. Équilibre vie professionnelle et vie privée : un levier sous-exploité Les femmes entrepreneures cumulent plusieurs rôles : cheffe d’entreprise, mère, conjointe, gestionnaire du quotidien. Ce poids freine leurs ambitions et leur croissance. Des dispositifs d’accompagnement adaptés sont nécessaires pour permettre aux entrepreneures de se concentrer pleinement sur leur activité.
4. Encourager la création de réseaux d’affaires efficaces Les femmes restent moins présentes dans les réseaux d’affaires stratégiques. Contrairement à la Flandre, où l’intégration dans des cercles mixtes est plus fluide, Bruxelles et la Wallonie doivent intensifier le développement de plateformes favorisant l’intégration des femmes dans les opportunités économiques. La Wallonie affiche une volonté claire, mais les outils manquent. Où sont les mesures fédérales ? Aujourd’hui, aucun plan national ne fixe d’objectifs chiffrés pour l’entrepreneuriat féminin. Or, la fiscalité des indépendants, l’accès aux marchés publics et les dispositifs de financement relèvent souvent du fédéral. La coordination régions-fédéral est indispensable.
Des solutions concrètes existent cependant pour transformer l’engagement en résultats. En assurant par exemple la mise en œuvre des recommandations sur le financement de l’entrepreneuriat féminin, issues des tables rondes initiées sous la législature précédente. Ne laissons pas ces travaux lettre morte. Idem en accroissant la visibilité des entrepreneures et en mesurant leur impact grâce à des données genrées permettant d’évaluer les progrès et d’ajuster les politiques publiques. Il faudrait aussi systématiser la mise en avant des rôles modèles féminins, notamment dans les secteurs à haute valeur ajoutée. La visibilité des success-stories inspire et légitime l’entrepreneuriat féminin. Cette mise en avant devrait être couplée à un renforcement de la présence des femmes dans les comités d’investissement et d’accompagnement pour mieux prendre en compte leurs réalités et besoins.
Transformer les ambitions en réalités L’entrepreneuriat féminin est un levier de croissance et d’innovation pour notre économie. La Wallonie en a fait une priorité, mais sans une approche globale, nous risquons de passer à côté d’une réelle opportunité. L’entrepreneuriat féminin ne doit pas être un simple engagement politique. Il doit être une stratégie économique nationale, avec des actions concrètes, mesurables et efficaces. Car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la place des femmes dans l’entrepreneuriat, mais bien notre capacité à libérer tout le potentiel de notre économie.