Même la boussole européenne cherche le chemin de la simplification
La Commission européenne a dévoilé les grandes directions de sa boussole de la compétitivité. Une feuille de route pour recouvrer la croissance au sein d’un marché unique. Avec certains points qui peuvent toucher jusqu’aux PME belges. Décryptage. Ou du moins, tentative.
L’Europe cherche le nord. Sa richesse décline, sa puissance d’innovation toussote, au mieux. Ces vingt dernières années, le Vieux Continent a cédé du terrain aux autres grandes économies en raison d’un retard persistant de sa productivité sans croissance probante. Bref, son étoile, pardon, ses vingt-sept étoiles cherchent l’éclat de jadis, sous peine de ressasser sans cesse dans la queue de la comète. Pour éviter pareil écueil, pour retrouver le chemin de la prospérité économique, la Commission a présenté sa boussole de la compétitivité. Sorte de feuille de route du succès, de doctrine économique pour ces cinq prochaines années inspirée du rapport Mario Draghi, qui fut patron de la Banque centrale européenne (BCE) et président du conseil italien. Elle entend donc restaurer le dynamisme européen de l’Union. Rien de moins.
Trois axes, cinq catalyseurs
Comment ? Via trois grands axes d’actions et cinq catalyseurs horizontaux forcément entremêlés présentés par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission. « L’Europe a tout ce dont elle a besoin pour gagner. En même temps, nous devons corriger nos faiblesses pour regagner en compétitivité. Nous avons donc un plan, à présent. Nous avons la volonté politique. Ce qui importe est la vitesse et l’unité. Le monde ne nous attendra pas. Tous les états membres sont d’accord sur ce point. Agissons donc en partant de ce consensus ». Face à des États-Unis autocentrés - hello l’effet d’annonce de la taxe de 25 % sur les produits made in EU - et une Chine gargantuesque, l’harmonie européenne, bien souvent enrhumée par les désaccords de ses membres, doit en effet arborer le blason de l’unité. Soit le prérequis indispensable à la réussite de cette boussole.
SIMPLIFIER, CREER ET ACCELERER
UCM tape sur ce clou au point d’en fendre le bois. La charge administrative est assommante, au point de couper l’envie d’entreprendre. Cette boussole, c’est d’abord la promesse d’un grand choc. Celui de la simplification. Deux entreprises européennes sur trois assurent que la charge administrative constitue l’obstacle principal aux investissements à long terme. Ursula von der Leyen ne dit pas autre chose en exposant qu’ « un nombre trop élevé d’entreprises s’abstient d’investir en Europe à cause des formalités administratives inutiles ».
C’est là qu’intervient la directive « Omnibus ». Même si elle fait déjà débat, particulière sur sa composante climatique, cette directive entend, globalement, réduire les obligations, alléger les devoirs bureaucratiques et faciliter la vie des entreprises en simplifiant la législation. Ursula von der Leyen souhaite ainsi que les exigences réglementaires soient désormais « proportionnées et adaptées » à la taille des entreprises. La boussole a pour objectif de réduire d’au moins 25 % la charge administrative qui pèse sur les entreprises et d’au moins 35 % celle qui pèse sur les PME. Sachant que les 26 millions de PME européennes représentent 99 % de l’ensemble des entreprises de l’Union, ça en fait de l’allégement…
Est aussi englobée, dans ce package de l’allégement, une simplification de la publication d’informations en matière de durabilité (reporting extra-financier, la CSRD dans le jargon), de taxonomie et un travail sur le « devoir de vigilance » des entreprises. Le premier, d’abord, en lien avec la politique RSE et les critères ESG qui s’imposent plus que jamais dans le monde entrepreneurial d’aujourd’hui. Fin février, la Commission a déjà plus que déplumé sa pourtant récente directive, conspuée par les fédérations industrielles et certains groupes politiques bien établis en Europe. Du coup, c’est la… déforestation, sans mauvais jeu de mots. 85 % des entreprises concernées en moins. Seules les 1.000 plus grandes sociétés européennes (au-delà de 1.000 employés et 50 millions d’euros de CA) restent concernées. Ceux qui, en outre, n’échafaudaient pas ces fameux « rapports de durabilité », disposent de deux années supplémentaires pour s’y préparer, avec des normes allégées.
Dans la même idée, la directive sur le devoir de vigilance (CS3D version jargon bis) perd aussi de son envergure. Elle oblige les entreprises à s’assurer que leurs fournisseurs et ses activités ne détruisent pas l’environnement et ne violent pas les droits de l’homme, pour faire simple. Seules 6.000 grandes entreprises européennes y seront soumises ainsi que 900 non européennes qui ont des « intérêts significatifs » dans l’Union. Union qui assure, tout de même, que « beaucoup seront affectées de manière indirecte », par l’effet de ruissèlement.
La 28e étoile et l'IA
L’Europe entend relancer son moteur d’innovation, favoriser les startsups et leur puissance d’innovations technologiques. Le constat est du reste interpellant : alors que la part de brevets déposés par les Européens est, au niveau mondial, comparable à celle de la Chine et des États-Unis, un tiers de ces brevets ne sont pas exploités commercialement, assure la Commission. L’idée, c’est donc de proposer un nouveau cap pour permettre à ces acteurs, ces startsups et scalesups, de peser sur l’économie européenne. De faciliter la création de jeunes pousses et leurs conditions d’expansion. Comment ?
Une, si pas la mesure phare, est la création d’un 28e régime juridique. Une nouvelle entité, indépendante des différents états, qui simplifiera les règles applicables, notamment en matière de droit des sociétés, droit fiscal, droit du travail ou droit des faillites. L’idée, c’est que les entreprises innovantes bénéficient d’un ensemble de règles uniques lorsqu’elles investissent et exercent leurs activités où que ce soit en Europe. Donc de ne plus devoir jongler d’une législation à une autre quand elles s’étalent sur plusieurs états européens. Et plutôt que de froisser le Français, par exemple, qui refuserait que la législation italienne soit la norme globale, autant donc établir de nouvelles règles. Uniques, uniformes et exemptes de toute appartenance nationale, donc.
L’innovation dans les grandes entreprises doit aussi être boostée par l’utilisation et la diffusion des nouvelles technologies. La boussole mentionne une « stratégie pour l’application de l’IA » visant à stimuler l’utilisation de l’IA dans les secteurs cruciaux pour l’économie du Vieux Continent. L’automobile ou l’énergie, pour ne pointer qu’eux. « Seules 13 % l’utilisent », pointe la Présidente de la Commission, qui escompte infléchir la tendance. Dans la même veine numérique, il est question de « giga fabriques d’IA ». Des « fermes » avec une « stratégie pour l’union des données » accessibles aux chercheurs et startsups pour bonifier, implémenter ou développer leur modèle sans passer par les concurrents américains ou chinois.
De l'argent européen, pour l'Europe
La question est forcément centrale puisqu’elle touche à l’argent. Comment faire pour que l’épargne européenne profite à la croissance européenne ? Et pas que cette enveloppe file direction la prospérité du reste du monde comme c’est actuellement le cas, a répété la Présidente. « L’épargne des ménages européens s’élève à près de 1.400 milliards d’euros alors qu’elle ne représente qu’un peu plus de 800 milliards aux États-Unis. Pourtant les entreprises européennes peinent à tirer parti de cette situation et à recueillir les financements dont elles ont besoin. C’est dû à la fragmentation de notre marché des capitaux intérieur », pose Ursula von der Leyen.
L’Union manque d’un marché de capitaux efficace capable de transformer l’épargne en investissements. En gros, les capitaux européens profitent aux entreprises hors Europe. Du coup, sans financement, difficile d’épouser la croissance et de « créer de l’innovation ». Pour y arriver, elle ressort le concept d’union des marchés de capitaux, initiative lancée par l’ancien président de la Commission Jean-Claude Juncker il y a plus de dix ans. Baptisée ici « union de l’épargne et des investissements », elle prévoit le développement de nouveaux produits d’épargnes unidirectionnels. Vers où ? L’Europe évidemment, avec une circulation des investissements sans discontinuité dans toute l’Union. Cela étant, l’idée date, donc, d’une bonne dizaine d’années et reste en jachère car les états membres n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur le sujet.
Décarboner l'Europe
Il est toujours bien question du Pacte Vert, soit l’engagement de l’Union à atteindre la neutralité carbone en 2050, mais désormais, ce dernier prend une tournure industrielle. Le « Pacte pour une industrie propre » entend instaurer une approche de la décarbonisation axée sur la compétitivité. Le but ? Rendre l’Europe attractive pour la fabrication, y compris pour les industries à forte intensité énergétique. Un « Plan d’actions pour une énergie abordable » doit contribuer à faire baisser les prix et les coûts de l’énergie. Soit réduire le handicap qui malmène actuellement les sociétés européennes face à la concurrence, asiatique notamment.
Il est notamment question d’accords pour des achats d’électricité à long terme. La modernisation des réseaux de transport et de distribution d’énergie ou encore de stockage est également au menu. La liste est vaste. S’y retrouve, par exemple, un plan pour un réseau européen de trains à grande vitesse ou une révision annoncée du mécanisme carbone aux frontières européennes (MACF de son petit nom), qui entrera en vigueur en 2026. Soit l’idée de mettre un prix équitable pour le carbone émis lors de la production de biens à forte intensité carbone qui entrent dans l’UE, afin d’encourager une production plus propre dans les pays tiers tout en évitant les « fuites ». C’est-à-dire une délocalisation vers des contrées aux politiques climatiques moins ambitieuses.
Dans son « cadre » présenté fin février, cette taxe carbone est elle aussi plus que rabotée. Sont exemptées 90 % des entreprises à la base concernées. La ligne directrice de la Commission ? Les politiques de décarbonisation doivent être vues comme des opportunités pour doper la croissance. Pas comme des freins.
Le « GOLD PLATING »,
l’art d’ajouter des couches
La transposition d’une directive européenne dans les lignes de loi d’un pays peut, parfois, prendre de l’épaisseur grandement préjudiciable pour l’esprit d’entreprendre.
« Gold plating » ? La terminologie anglaise n’est pas spécialement connue une fois sortie du cénacle des initiés. Et en langue française ? « Le plaqué or » ? Guère mieux, sauf pour un bijoutier évidemment mais ce n’est pas le propos en ces quelques lignes… Pourtant, sous cette énigmatique expression à dorures se cache l’un des principaux écueils de la grande machinerie qu’est l’Europe. Et il peut se montrer paralysant pour l’économie et l’entrain d’entreprendre. Pour en comprendre la subtilité, il est nécessaire d’appréhender le fonctionnement européen.
« Pour faire simple, l’Europe va pondre une norme, proposer une directive qui sera, par la suite, transposée dans la législation de chacun des pays membres », expose Sébastien Splingard, conseiller fiscalité au sein du service d’études. « Elle va, par sa directive, donner une impulsion, si vous voulez. Un chemin à suivre, mais a minima. Par exemple, elle va produire une directive, admettons, sur la TVA, en la fixant au minimum à 5 %. Après, si l’état belge décide de la fixer à 32 %, c’est bon car il suit la direction européenne. C’est justement dans cette transposition qu’intervient le ‘gold plating’. »
"Mettre de la dorure"
Donc, en somme, une fois la directive européenne produite, les membres la « traduisent » pour l’implémenter dans leurs textes légaux. « Le pays va transposer ce minima européen et pourrait profiter de cette porte ouverte pour ajouter des surcouches de règles. Superposer d’autres conditions à la règle. Soit la définition du ‘gold plating’, on vient mettre de la dorure, des couches d’or. Je vais prendre un exemple », poursuit l’expert, en pointant la gourde qui trône sur son bureau. « L’Europe va produire une directive sur cette gourde en spécifiant qu’elle doit avoir, au minimum, telle quantité. Sans y mettre d’autres restrictions. La Belgique pourrait, une fois qu’elle va transposer cela, y ajouter d’autres conditions. Elle doit avoir un bouchon de tel type, être absolument orange sur sa partie supérieure… L’Allemagne, elle, pourrait se concentrer sur la quantité minimale qui n’est pas de 750 ml mais d’un litre, par exemple. Et qu’elle doit être en métal. Bref, on conserve l’idée de base de l’Europe, sa direction, mais avec une surdose de règles. Et le risque bien réel, qu’au final, s’y dissipe l’essence même de la règle de base. Du minima européen, les décideurs ont tellement tiré dessus qu’en résultent une législation abondante et une véritable charge administrative. Parce que, plus vous ajoutez des couches, plus vous handicapez votre mode de fonctionnement. Et la Belgique, comme la France d’ailleurs, a l’art de s’handicaper… ». Soit l’encontre absolu de la boussole européenne et de son antienne de simplification que porte la Commission.
Pourquoi l’Europe fonctionne-t-elle a minima, du coup ? « Simplement parce que dans le modèle actuel, il faut contenter tous ses membres », pose Sébastien Splingard. Un texte plus poussé, plus contraignant sur tel ou tel aspect, risquerait d’être recalé par un pays ou un autre dans son élaboration. Mais, de facto, ce « a minima » malmène l’idée d’unité européenne puisque chaque pays va venir y ajouter « ses consignes ». Et il peut même y avoir des disparités au sein même des états. « Entre Flandre et Wallonie, par exemple. Ce sont parfois des conditions qui sont purement administratives, ce qui augmente la charge qui pèse sur les PME, les indépendants et les citoyens. Or, le but de la commission via son ‘compas’, c’est justement d’alléger la charge administrative. » Soit, donc, tout l’inverse du « gold plating ».