Tarifs douaniers« Je suis effaré par les projets de Trump »
Les Etats-Unis ont décidé d’appliquer de nouveaux tarifs douaniers au (presque) reste du monde. Une nouvelle donne qui chamboule complètement le commerce international. Deux économistes, Bernard Keppenne pour CBC Banque et Clément Poulain pour UCM, analysent les conséquences de cette décision américaine finalement reportée de 90 jours.
De 10 % pour l’Ukraine ou la Nouvelle-Zélande à 20 % pour l’Europe, 46 % pour le Vietnam ou encore 50 % pour les 6.000 habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon, une collectivité d'outre-mer française située à côté du Canada : Donald Trump a sorti la mitraillette le 2 avril dernier en dévoilant des droits de douane sur environ 185 territoires aux quatre coins du monde. Une annonce censée inaugurer un nouvel « âge d’or » pour les Etats-Unis victimes, selon le président américain, d’un traitement économique injuste par le reste du monde. « Il faut comprendre que cette attitude n’est pas récente dans le chef des Américains. Ils ont une volonté très claire de rapatrier la production sur leur sol, et ce depuis le premier mandat de Trump. Cela a été confirmé ensuite par Biden. Lorsque ce dernier a mis en place son ‘'Inflation Reduction Act’, on était exactement dans la même logique de rapatriement des entreprises afin de produire sur le territoire américain. Il n’y a qu’une seule différence, c’est la manière dont c’est fait. Mais soyons clairs, Trump avait déjà pris des mesures contre la Chine au cours de son premier mandat et Biden ne les a absolument pas remises en question, au contraire », contextualise Bernard Keppenne, Chief Economist pour CBC Banque.
Promesse de campagne

Clément Poulain
Le calcul de base de Trump derrière ces nouveaux droits de douane est que les États-Unis importent plus qu’ils n’exportent. Ce qui crée un manque à gagner conséquent pour l’économie de son pays. « Il part du constat pas tout à fait juste que la balance commerciale de son pays est en déficit. Si c’est vrai pour les échanges de biens, ce n’est pas le cas pour les échanges de services où la balance est plutôt inversée. Lui, évidemment, ne prend que les données qui l’arrangent », souligne Clément Poulain, expert au service d’études UCM. « Avec les droits de douane, il va augmenter les frais pour toutes les entreprises qui consomment des produits non américains. Il espère que ça va les encourager à relocaliser leur production. C’est surtout basé sur des promesses de campagne, notamment dans certaines régions désindustrialisées dans lesquelles il a promis de ramener de l’emploi. Dans la tête de Trump, il s’agit principalement de politique interne ».
Ces droits de douane s’érigent donc comme un calcul purement politique pour l’ancien présentateur de « The Apprentice ». Et, comme souvent avec Trump, c’est la méthode du bulldozer qui a été choisie : on fonce tout droit sans se soucier de froisser de fidèles partenaires ou de plonger toutes les bourses mondiales dans le rouge. Les Européens ne sont pas contents ? Ils n’ont qu’à céder à toutes ses demandes et il lèvera « gracieusement » ses droits de douane. La Chine décide de contre-attaquer ? Elle s’expose à des sanctions encore plus importantes. « En tant qu’économiste, je suis effaré par les projets de Trump. Beaucoup de mes confrères ont qualifié ce programme de stupide. Je suis aussi étonné car, connaissant Trump et son ego surdimensionné, le ralentissement de l’économie, voire la récession qui s’annonce, laisserait une très mauvaise image de son programme dans les prochaines années. Je ne crois pas que les entreprises retourneront aux États-Unis. Déjà parce que ça prendrait un temps fou pour que ça se concrétise. Ensuite parce qu’elles n’ont pas intérêt à se positionner uniquement aux États-Unis. Avec ces nouvelles mesures, Trump a une nouvelle fois prouvé qu’on ne peut pas lui faire confiance. Et donc, demain, quelle entreprise va prendre le risque de s’installer aux USA en tant qu’opérateur étranger ?», s’interroge Bernard Keppenne.
Un de perdu, dix de retrouvés ?
Reste que l’avenir à court terme s’annonce indécis. « On voit que l’Europe veut négocier, mais elle a aussi préparé un certain nombre de mesures qui, si elles sont appliquées, feront très mal aux USA. Le rapport de force est l’élément dominant dans les discussions, ou les non-discussions, avec les États-Unis », ajoute l’économiste.

Bernard Keppenne
Plus que jamais, les entreprises belges et européennes sont donc invitées à rechercher de nouvelles opportunités commerciales ailleurs. Spécifiquement si les USA ne représentent qu’un petit marché pour leur société. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les deux dernières missions économiques belges se sont déroulées en Inde et au Vietnam. Deux territoires en forte croissance particulièrement porteurs pour nos entreprises. « Beaucoup d’accords commerciaux sont en cours de négociations avec l’UE, comme le CETA avec le Canada ou le Mercosur avec l’Amérique latine. Il y a de grandes chances que si les droits de douane perdurent, ces négociations connaissent un coup d’accélérateur et qu’on s’ouvre à de nouveaux marchés. Les États-Unis représentent 340 millions de consommateurs. C’est beaucoup, mais très peu à l’échelle mondiale. Notamment quand on compare avec l’Inde par exemple », indique Clément Poulain, qui souhaite conclure par un message d’espoir. « Je comprends que la situation ne soit pas facile, surtout quand les crises s’enchainent. Mais ce n’est pas une fatalité. Il y a moyen de trouver d’autres opportunités. C’est peut-être aussi l’occasion de questionner son modèle économique et l’intérêt d’exporter aux États-Unis. En tant qu’organisation patronale, nous allons œuvrer à diversifier et à créer les conditions favorables pour réorienter les flux économiques. Nous allons notamment demander à l’AWEX d’adapter sa stratégie d’aide à l’exportation pour encourager de nouveaux échanges ».
Trois questions à Bernard Keppenne
- Qu’est-ce qui attend le consommateur européen ? Une hausse des prix ?
"Pas forcément. S’il n’y a pas de mesures de rétorsion de l’Europe sur les biens, il n’y aura pas d’impact inflationniste au niveau européen. Concernant le consommateur européen, il y a plusieurs éléments qu'on peut mettre en évidence aujourd'hui. D'abord, et c’est un point positif, c'est la forte baisse du prix du baril de pétrole. Par contre, le contexte actuel d’une guerre commerciale ou de l’application des décisions de Trump ouvre la porte à un risque de récession au niveau de l’économie américaine, mais aussi mondiale. Ce qui va impacter le consommateur car les entreprises pourraient souffrir de cette situation et, par conséquent, procéder à des licenciements."
- Plusieurs experts ont annoncé que la Belgique serait relativement épargnée car les produits pharmaceutiques sont exemptés par ces droits de douane. Est-ce la vérité dans un marché européen si interconnecté ?
"On a en effet échappé pour le moment au secteur pharmaceutique mais le secteur agroalimentaire, qui est assez conséquent, est touché. Il faut par ailleurs rappeler que la Belgique est un acteur dans un contexte industriel ouvert. Nous sommes donc très dépendants du commerce international. Ce qui veut dire que ce qui a un impact sur l’économie allemande affectera inévitablement la Belgique. Nous devons arrêter de raisonner en termes belges, mais plutôt réfléchir en termes européens. L’Europe doit parler d’une seule et même voix."
- Les bourses se sont inlassablement colorées de rouge après l’annonce de Trump. Est-ce une tendance qui va se confirmer sur le long terme ?
"Nous allons vivre avec beaucoup plus d’incertitudes que précédemment. Je le dis un peu en souriant car je l’ai beaucoup annoncé dernièrement. Il y a eu la crise financière, le Covid, la guerre en Ukraine. La différence avec le passé, c’est la rapidité avec laquelle ces crises se succèdent et nous obligent à nous adapter. On m’a demandé plusieurs fois s’il fallait s’attendre à un krach boursier. Non, ce n’est pas un krach car la correction se fait sur un laps de temps relativement long. Je veux dire par là que ça fait des semaines qu’il y a des corrections, des questions sur certaines valeurs, notamment technologiques, aux USA. Il y avait donc pas mal d’interrogations avant. Cela va au-delà des tarifs douaniers. Mais l’amplitude de la correction montre qu’il y a une réelle inquiétude que ces mesures aient un impact récessionniste assez élevé. Il est donc logique qu’il y ait une correction car la valorisation des sociétés est établie sur des taux de croissance aux alentours de 2,4 % à 2,8 % aux États-Unis. Quand on parle de récession, la valorisation n’est plus du tout en phase."
Un report de 90 jours, sauf pour la Chine
Un report de 90 jours, sauf pour la Chine Le président américain l’avait promis : il ne ferait pas marche arrière. Sauf que, plus que jamais, la vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain aux États-Unis. Le 9 avril, Donald Trump a finalement annoncé le report de 90 jours de ses fameux droits de douane. Reste donc un taux de 10 % pour tout le monde, sauf la Chine, et ses improbables 125 %. L’Empire du Milieu a contre-attaqué, lui aussi à hauteur de 125 %, tout en exhortant les USA à mettre fin à cette « mauvaise pratique » pour « revenir sur le droit chemin du respect mutuel ». Côté européen, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait dans un premier temps annoncé riposter via une série de contre-mesures. Avant de les mettre également en pause et d’appeler aux négociations avec les autorités américaines. « Si les négociations ne sont pas satisfaisantes, nos contre-mesures entreront en vigueur. Les travaux préparatoires sur d’autres contre-mesures se poursuivent. Comme je l’ai déjà dit, toutes les options restent sur la table », a-t-elle cependant averti. L’avenir des collaborations commerciales avec les États-Unis s’annonce donc plus flou que jamais. Ce revirement a au moins permis aux bourses de retrouver un peu de vigueur, sans pour autant atteindre le niveau qu’elles ont connu début avril.
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