70 % des entrepreneurs confrontés à un accident
Régulièrement isolés, les indépendants qui affrontent des accidents de la vie ont trop souvent du mal à garder le cap. Des solutions existent heureusement pour les aider à traverser ces périodes difficiles. L’une d’entre elle, BforB, a vu le jour il y a quelques semaines.
Lorsqu’un entrepreneur traverse une épreuve, qu’on parle de maladie, d’accident, de burn-out ou de deuil, l’impact est souvent dramatique, tant pour lui que pour son entreprise et son entourage. Un constat clair dont les principaux concernés n’ont pas toujours conscience. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude réalisée en partenariat avec BforB, un collectif d’entraide à destination des entrepreneurs, auprès d’un peu moins de 500 répondants. Au cours de leur carrière, 70 % des entrepreneurs se retrouvent confrontés un jour ou l’autre à un accident de vie.
Un résultat sans appel à mettre en parallèle avec les 33.000 indépendants en invalidité en 2023, soit 10 % de plus qu’en 2022. Mais revenons à notre enquête. On sait que la santé du chef d’entreprise et celle de sa boite sont intimement liées, pourtant, seuls 28,5 % se disent préparés à des accidents de la vie dans la gestion de leur société. Et lorsqu’un problème grave leur tombe sur la tête, 40 % des sondés n’arrêtent pas le travail tandis qu’un sur trois (35 %) se met en pause pour une durée de moins de trois mois.
Ces difficultés sont par ailleurs exacerbées par le sentiment d’isolement permanent ressenti par de nombreux entrepreneurs. 61 % se sentent un peu ou fort isolés et seuls 10 % se considèrent entourés et soutenus. Cette tendance se confirme à la suite d’un accident, la quasi-totalité des répondants (85 %) estimant que le sentiment d’isolement s’est accentué après celui-ci. Comme si cela ne suffisait pas, plus de 60 % des répondants jugent que leur souci a entrainé des conséquences sur la santé économique de leur entreprise, tant au niveau de l’emploi que du chiffre d’affaires ou des bénéfices. C’est même une double, voire triple peine, car ce problème a des impacts sur la vie privée des indépendants dans un cas sur deux alors que 60 % d’entre eux se sentent personnellement responsables par rapport à l’ampleur des répercussions.
Trois axes
La problématique est vaste, complexe et identifiée depuis plusieurs années. Les accompagnements existants sont cependant encore méconnus. Si UCM s’est intéressé à la problématique depuis longtemps (voir ci-contre), un nouvel outil se trouve désormais entre les mains des entrepreneurs : BforB. Cette asbl a pour objectif d’aider les chefs d’entreprise pour qu’ils soient mieux préparés face aux aléas de la vie et puissent assurer la pérennité de leur projet entrepreneurial. Cet accompagnement se décline en trois axes : anticiper en sensibilisant les entrepreneurs aux risques potentiels ; accompagner en offrant un soutien concret et personnalisé au moment du besoin ; reconstruire en aidant à rebondir après une épreuve pour repartir sur des bases solides. Mais l’élément clé et différenciant qu’apporte BforB, c’est son mentorat « d’urgence ». Quand il rencontrera une difficulté, l’entrepreneur pourra premier bénéficier des conseils d’un mentor. Comprenez ici un « ami éclairé », lui-même indépendant, qui a déjà traversé ce type d’épreuve. Un dirigeant qui a, lui aussi, connu pareille infortune et qui peut accompagner et guider l’indépendant nouvellement touché. « La solitude du chef d’entreprise est une réalité exacerbée face aux épreuves. Il manque souvent de préparation quand la vie vient le bousculer, lui et son entreprise. Pourtant, ces hommes et ces femmes bâtissent l’économie et la société de demain. En les soutenant dans ces moments difficiles, nous contribuons à préserver des projets porteurs de sens et d’emploi », indique Serge Lejeune, président de BforB.
UCM veille
UCM prend bien entendu très au sérieux les résultats de cette enquête et entend travailler ces prochains mois à la mise en place de dispositifs auxquels les entrepreneurs peuvent se raccrocher en Wallonie et à Bruxelles. Parmi les mesures envisagées, nous pensons à cartographier l’ensemble des dispositifs privés (tels BforB ou Revival) ou publics (comme Ré-Action), à vérifier que le filet d’accompagnement existant est complet et qu’il vise l’ensemble des profils et à mettre en place une porte d’entrée unique pour guider chaque entrepreneur vers le bon dispositif.
UCM, pionnière des questions de santé mentale
Cette étude confirme un combat que mène UCM depuis plusieurs années : les entrepreneurs en difficulté ont besoin d’un accompagnement à la fois social et économique. Social car il doit préserver sa capacité à travailler son équilibre mental en évitant notamment l’isolement et la précarisation. Économique car un entrepreneur qui traverse cette période de turbulence maintient des emplois et participe à la robustesse des écosystèmes économiques en Wallonie et à Bruxelles.
Conscient de cette réalité, UCM a lancé début 2024 via sa Caisse d’assurances sociales le programme « J’entreprends mon bien-être ». Une nouvelle mission qui faisait suite à un appel à projets auquel UCM avait répondu en 2022, déjà. En pratique, une nouvelle cellule a été mise sur pied pour informer les indépendants de toutes les solutions qui existent pour « entreprendre leur bien-être » via des formations, webinaires et autres outils de sensibilisation. Cette équipe est par ailleurs à l’écoute des indépendants en difficulté pour les orienter vers l’aide la plus appropriée à leurs problèmes.
https://ucm.be/independants-et-bien-etre-au-travail
"Le contexte social et politique peut conduire à des conflits sur le lieu de travail"
Ambiance délétère, baisse de motivation, de performances… Le mal-être d’un salarié peut avoir des conséquences désastreuses sur le fonctionnement d’une entreprise. Des solutions de prévention existent heureusement pour limiter les risques. Lila Maas, responsable de l’unité psychosociale au CESI, fait le point pour UCM Magazine.
Comment évaluez-vous le bien-être des salariés que vous croisez via votre travail ? Se sentent-ils mieux ou moins bien qu’il y a dix ans ?
Il y a une évolution avec davantage d’expression de mal-être et de tensions. Est-ce que c’est lié au fait que la santé mentale est de plus en plus considérée dans l’espace public ? C’est possible. En tout cas, ce sont des choses dont on parle davantage aujourd’hui par rapport à avant, où les salariés avaient peut-être plus tendance à garder tout ça pour eux. Maintenant, force est de constater qu’on est dans une situation de tension qui dure depuis le Covid. On vit une période où on s’exprime davantage sur son mal-être et cela se traduit par une augmentation de dossiers chez nous.
Vous parliez de tensions. Pourriez-vous les détailler un peu ?
Ce sont souvent des éléments liés à l’organisation. Plus le cadre de travail est clair, moins on risque de vivre des tensions au sein de ses équipes. Ceci dit, la première problématique avec laquelle les travailleurs viennent nous voir concerne des tensions interpersonnelles avec la hiérarchie ou des collègues. Et généralement, quand on analyse la situation, on se rend souvent compte que ça découle d’une organisation du travail pas assez claire. Il y a également la question du sens du travail qui revient régulièrement. Il est particulièrement remis en cause dans certains secteurs, comme les secteurs scolaires et des soins de santé. Ces individus ont l’impression de s’éloigner de leur mission première à cause de différents facteurs, comme les contraintes administratives ou le manque de ressources par exemple.
Auriez-vous des pistes d’actions faciles à mettre en place pour aider les salariés à éviter ces écueils ?
Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de recette magique. Tout est fortement lié à la culture de l’organisation et à la volonté des dirigeants de prendre en main leur politique de prévention des risques psychosociaux. Les patrons qui nous lisent gagneraient à investir dans leur politique de prévention. En le faisant, ils vont améliorer le bien-être de leurs collaborateurs et, par ricochets, leur cohésion et leur efficacité. C’est une donnée dont certaines personnes n’ont pas toujours conscience. Quand on parle de risques psychosociaux, ce n’est pas quelque chose de forcément tangible. Je réalise bien qu’il est souvent moins évident, pour un dirigeant, d’investir dans cette thématique que dans une autre avec des bénéfices davantage visibles. Les retours sur investissement sont pourtant payants. On constate par exemple que, quand une entreprise a des difficultés financières, elle va souvent d’abord sabrer dans les dépenses liées aux risques psychosociaux. Ce n’est pas un bon calcul car, par la suite, ces sociétés doivent souvent faire face à davantage de dépenses liées au mal-être de leurs salariés et à leurs répercussions.
Auriez-vous des conseils spécifiquement dirigés aux dirigeants de PME ?
J’invite vraiment les patrons de petites entreprises à prendre contact avec leur conseiller en prévention pour trouver des solutions adaptées à la taille de leur boite. C’est vrai que c’est une thématique qu’on associe davantage aux grosses entreprises avec des interventions qui semblent coûteuses. Mais de grosses crises, notamment entre travailleurs, peuvent aussi toucher les PME. J’invite donc les dirigeants à réfléchir sereinement à la prévention des risques psychosociaux en amont, avant l’arrivée des problèmes. Il est tout à fait possible de coconstruire des solutions adaptées à leurs contextes et contraintes.
Il y a eu une libéralisation de la parole sur ces questions de bien-être depuis quelques années. Est-ce quelque chose qui concerne davantage les jeunes ?
Je vais vous répondre en tant que manager de l’équipe psychosocial du CESI et sur base de mon expérience. Durant les entretiens d’embauche que je mène, je constate que les plus jeunes générations ont davantage tendance à mettre ces questions d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée sur la table. Là où la posture de l’ancienne génération sera davantage de s’adapter à l’entreprise.
On parle beaucoup d’intelligence artificielle depuis plusieurs années. Est-ce une cause de mal-être pour certains travailleurs ?
Ce n’est pas vraiment une cause de mal-être mais on rencontre beaucoup de personnes qui ont des interrogations par rapport à l’IA. Elles craignent notamment pour la pérennité de leur emploi. Ce n’est pas un élément qui prend la place des problèmes d’organisation ou des relations interpersonnelles que je mentionnais précédemment, mais c’est une thématique dont on nous parle de plus en plus.
Quelles sont les autres grandes inquiétudes des travailleurs ?
Il y a également de l’anxiété par rapport au contexte écologique, géopolitique mondial et à l’insécurité qui en découle. Cela peut conduire à des conflits entre collègues ayant des opinions différentes, notamment sur l’actualité au Proche-Orient, aux États-Unis, ainsi qu’en Ukraine, comme cela a été le cas précédemment avec la crise du Covid. Nous constatons aussi que de plus en plus de situations de harcèlement sexuel sont dénoncées, alors qu’on ne parlait quasiment exclusivement que de harcèlement moral il y a quelques années. C’est une conséquence directe des mouvements sociétaux qui ont vu le jour aux quatre coins du monde.
Des astuces concrètes
Lila Maas partage trois actions concrètes à mettre en place dans son organisation pour favoriser le bien-être de ses salariés.
Une organisation du travail claire : « Les collaborateurs doivent avoir conscience que leur organisation les considère, leur apporte un véritable soutien. Cela passe, pour le patron, par une bonne compréhension de l’impact de certains changements organisationnels sur la vie quotidienne des travailleurs. S’il n’y a pas de lien pour intégrer et expliquer les contraintes liées à ces changements aux collaborateurs, cela peut créer des tensions plutôt que de l’adhésion. »
Identifier et prévenir les risques : « Quand on pense au contenu du travail, il est important de prendre en considération les risques pour le salarié. Nous, au CESI, on va identifier quelles sont les sources de stress au travail. Et certains métiers sont plus exposés que d’autres. Il existe aussi des sources de stress inhérentes à certaines fonctions. Je pense par exemple à une personne qui travaille dans un service de soins palliatifs. Elle va être confrontée systématiquement à la mort, à la perte. Le risque, c’est que l’employeur considère que c’est normal parce que ‘c’est son job’. Mais ce n’est pas parce que c’est ‘normal’ que ça ne finit pas par user au bout d’un certain temps. Raison pour laquelle il est important de considérer ce risque en mettant en place des mesures de prévention. Dans l’exemple qui nous concerne, elles pourraient prendre la forme d’un groupe de paroles entre pairs. »
Outiller les managers pour qu’ils prennent soin d’eux et de leurs équipes : « C’est un troisième élément fondamental trop souvent oublié. Plus une personne dispose de ressources, qu’elles soient techniques ou relationnelles, plus elle sera capable de gérer les problèmes qui peuvent survenir. Le salaire n’est pas une reconnaissance suffisante pour motiver et engager du personnel. Cette motivation passe par le sens au travail, le sentiment d’appartenance et la reconnaissance authentique, concrète et mobilisante. C’est un élément essentiel pour renforcer l’engagement du collaborateur. D’où l’importance de créer un environnement psychosocial sain et serein. »