Cécile Neven / Caroline Cleppert

CEO de l'UWE / Secrétaire générale chez UCM
10/11/23

Bio-Ingénieure de formation, Cécile Neven entame sa carrière dans un bureau d’étude. Après un passage à la Faculté de Gembloux, à l’ISSeP, et au SPW, elle obtient un poste de conseillère Environnement chez Essenscia. Elle franchit la porte de l’UWE en 2005 et devient directrice du Pôle partenariats en 2020. Elle a été nommée CEO de l’UWE le 29 août dernier.

Caroline Cleppert est économiste de formation. Originaire de Gembloux, elle a construit sa carrière de consultante au sein des "Big Four" (PwC, EY, KPMG).
Professeur d’économie politique à l’UCLouvain, elle a d’abord occupé le poste de directrice au service d’études et lobby UCM dès 2021 avant de devenir la Secrétaire générale le 1er octobre dernier.

Les entreprises attendent encore des résultats

Cécile Neven et Caroline Cleppert dirigent les organisations patronales majeures en Wallonie et Bruxelles. Férues d’économie, elles œuvrent pour qu’il "fasse bon entreprendre" .
Le chemin est parsemé d’obstacles mais elles ont des solutions.
Portraits croisés.

Isabelle Morgante

 

  • Cécile Neven, vous êtes la nouvelle CEO de l'UWE. Quels sont les grands virages consentis par le monde entrepreneurial ces derniers mois ?

    (CN) - Les crises ont agité le monde de l’entreprise, qui a dû s'adapter et faire évoluer ses process, en intégrant rapidement des notions de transition, de prix qui flambent, de disponibilité de matières premières, de ressources humaines en tension.... Le monde bouge très vite mais les entreprises font preuve de résilience et ça, c'est évidemment très positif.

  • Que vous disent les entrepreneurs rencontrés sur le terrain ?

    (CN) - À chaque visite, je leur demande un problème rencontré et, souvent, il s’agit du coût du travail. J’entends : "Si le coût du travail n'était pas si élevé, j'engagerais cinq personnes". Une autre préoccupation, c'est la capacité à recruter dans une série de métiers. Ajoutez le coût de l'énergie, payée plus chère que dans les pays voisins. C'est vrai pour les citoyens, mais aussi pour les entreprises.

  • Comment l’UWE accompagne-t-elle les entreprises dans ces challenges ?

    (CN) - L’UWE travaille énormément à essayer d'adapter les législations et à les rendre progressives. Prenons par exemple le secteur de la construction, qui est confronté à une série de couches de législations de toute nature qui s'empilent les unes sur les autres : les obligations PEB, le tri des déchets, etc. Par exemple, il existe un projet d'arrêté où on doit trier 25 fractions de déchets sur des chantiers. Ces obligations, même si on peut les entendre, conduisent à de très grandes difficultés pratiques, sur les chantiers et dans la valorisation en aval. Notre rôle, c'est de faire en sorte que les entreprises puissent vraiment exercer leur force de levier pour relever les défis. Nous travaillons, en amont, sur les textes de loi et faisons en sorte qu'ils soient praticables sur le terrain.

  • Caroline, les grands virages que les entreprises UCM vivent sont identiques à l’UWE…

    (CC) - Je me retrouve parfaitement dans les propos de Cécile et je retiens particulièrement le dernier point. Le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions, et nous savons que nous pouvons nous rejoindre et faire bouger les lignes. Avec les crises, on a assisté à une espèce de "football panic" où il a fallu réguler de tous les côtés, en oubliant le côté pragmatique des choses. Pour moi, le risque, c'est qu'à un moment donné, on n’embarque pas nos entreprises dans ces enjeux-là. Non pas parce qu’elles ne sont pas d'accord sur le concept mais parce qu’il y a tellement de freins dans la mise en pratique qu'on ne donne pas la possibilité de laisser faire les choses au minimum. Et malheureusement, on perd une série d'entreprises dans ces enjeux qui sont pourtant fondamentaux.

  • Que faire pour ne laisser aucune entreprise au bord du chemin ?

    (CC) - Simplicité et pragmatisme sont les maîtres-mots. Par exemple, il a fallu du temps pour s'organiser et s'adapter au télétravail. Nous sommes en transition sur un grand nombre de sujets, nous n’avons donc pas la possibilité d'attendre cinq ans pour évaluer les résultats.

  • Le monde politique est-il suffisamment à l'écoute des besoins et des craintes des PME et des organismes qui les représentent ?

    (CC) - Toujours insuffisamment, je dirais.
    (CN) - Ce n'est pas un non catégorique. Il y a de la concertation mais dans la manière de légiférer, je rejoins les propos de Caroline. Il y a des progrès à faire. Lorsqu’on entame une grosse réforme, pourquoi ne pas définir à l’avance les dispositions finales et transitoires des textes et fixer une clause de rendez-vous à un an ou deux ans ?

  • Un objectif dans le temps ?

    (CN) - Oui, on se fixe un objectif de révision du texte parce qu’on sait que légiférer est complexe. Donc on laisse le texte vivre sa vie, on analyse les remontées de terrain et on voit où il faut ajuster. C'est une disposition tout à fait pragmatique qui n’est pas pratiquée. J'avoue que je ne comprends pas pourquoi.

Les entreprises représentent une partie de la solution.
  • Est-ce le cas dans d'autres domaines ou pas ?

    (CC) - Nous sommes dans un monde en perpétuelle transition. On ne peut plus gouverner comme avant. Il faut, à un moment donné, adapter les méthodes et accepter le fait que nous devons travailler par essais et erreurs.
    (CN) - La manière de légiférer doit être adaptée, il faut être plus agile et pragmatique. En Wallonie, on a quand même l'art de se fixer un objectif sans avoir la moindre idée de comment on va l'atteindre !
    (CC) - Avoir un objectif est une bonne chose. Mais très vite, il faut se mettre en ordre de bataille. Je pense vraiment qu'il y a cette nécessité de pragmatisme.
    (CN) - Absolument. Pour moi, on ne peut pas légiférer sans se poser la question de mesurer l'impact sur le tissu économique. La Wallonie ne peut se permettre de détériorer son activité économique, elle doit la maintenir et la développer. L'administration doit rester garante du respect de la norme, mais cette réflexion sur l’impact est encore trop souvent manquante. C’est une question importante.

  • Cécile Neven, quid du plan de relance wallon ?

    (CN) - Nous restons sur l'idée que le plan de relance reste insuffisamment priorisé. En Wallonie, on n'a pas pris l'habitude d'évaluer les politiques publiques. Il ne s'agit pas de sous-traiter des études d'impact à des consultants, qui vont durer des années et qui vont noyer le poisson.
    (CC) - Je suis bien d'accord avec vous, c'est la notion de comment on va les mener, comment on va les ajuster éventuellement pour arriver à cet objectif.

  • L’un des axes du mémorandum UCM, c'est davantage d'entreprises dans l'enseignement. Soutenez-vous cette proposition ?

    (CN) - Il faut rapprocher les deux mondes. L’idée n’est pas de dire que l’entreprise dicte sa loi à l'école. Mais le rôle de l’enseignement n'est pas seulement de former des citoyens capables de s’épanouir dans la société. Il doit aussi aider le jeune à trouver un métier. Les mondes de l'enseignement et de l'entreprise ont tout à gagner à se rapprocher.

  • Le partenaire du couple est-il la famille ? N’y a-t-il pas un rôle d'éducation et de sensibilisation à la valeur travail par les parents auprès des jeunes ?

    (CN) - Incontestablement, bien sûr.
    (CC) - Je pense que nous sommes dans un monde où cette valeur change. Il faut aussi que le monde de l'entreprise comprenne et entende les besoins de ces nouvelles générations. Nos parents ou nos grands-parents faisaient des carrières linéaires et n'imaginaient pas changer de carrière ou faire de break, etc. Maintenant, on parle de carrières coupées avec des statuts différents, on revient, on repart… Et on travaille par projets.

  • La PME, c’est vraiment un partenariat employeur/employé ?

    (CN) - Ça l'a toujours été, il faut peut-être voir davantage les choses de cette façon-là. Le temps où on se formait puis on travaillait est terminé, on passe à une formation plus évolutive et agile tout au long de la vie. Le diplôme est-il la seule voie pour apprendre ? Certainement pas. Il y a l'expérience du terrain.

  • Le gouvernement wallon a dévoilé son budget, votre avis sur la question ?

    (CC ) - Ce qui me fait très peur, c'est que nous allons vers une réduction du déficit mais aussi l’échéance du plan de relance. Personnellement, je n’ai pas vu la relance s’activer. Je ne peux pas m'imaginer qu'on stoppe des projets qui ont mis du temps à démarrer ou ont du retard. C'est un plan de relance avec des projets d'envergure, qu’il faut poursuivre. Il est hors de question qu'on laisse ces projets sur le côté, sous prétexte que c'est soit un mauvais timing, soit que ça coince budgétairement.
    (CN) - Absolument d'accord, pour autant qu'on arrive à financer les projets les plus structurants. Parce que là, le budget, il n'est pas vraiment à l'équilibre, si on tient compte de l'ensemble des chiffres. On va dans la bonne voie, mais on n'a pas encore assez d'éléments et c'est totalement insuffisant pour redresser le tir.

  • Un exemple ?

    (CN) - Il y a de très gros projets en matière de transition à nourrir. La relance n'est pas suffisamment enclenchée, loin de là. On s'est fixé des objectifs majeurs, il va falloir les financer et mettre de l'argent sur ces grands investissements structurants, notamment ceux qui vont permettre la transition. Il faut voir loin.
    (CC) - C'est quand même perturbant de se dire qu'on se fixe des objectifs parfois jusqu'à 2050 ou 2030 alors que le plan de relance s'arrête en 2026.
    (CN) - L’UWE préconise de travailler sur le cadre pour l’activité économique en Wallonie car dans l'absolu, une entreprise n'a pas vocation à être aidée si elle est dans un environnement suffisamment correct. Mais c’est loin d’être le cas !
    (CC ) - À la lecture des transitions et des enjeux auxquels on fait face, les aides ont un rôle d'incitation majeure. Et donc sans incitation, on n'aura pas l'effet accélérateur. Quand les règles du jeu ne sont pas bonnes, il faut pouvoir intervenir avec des aides et des subsides.
    (CN) - Je pense que toute la politique environnementale devrait être conçue de manière incitative plutôt que punitive. On sait déjà que la transition va coûter des sommes astronomiques et des investissements gigantesques.

Caroline Cleppert à gauche, Cécile Neven à droite.
  • Revenons-en à la Wallonie. Est-elle en capacité de faire face à ces investissements ?

    (CN) - Certainement pas. L’Europe met bien une série d'éléments sur la table. Mais qui s'en empare ? Les États membres forts avec des budgets à disposition. En Wallonie, par contre, nous ne sommes pas en position de force. On peut certes s'améliorer, c'est un des piliers de l'action, mais à un moment donné, il faut par exemple modifier complètement un procédé, et ça coûte extrêmement cher.
    (CC) - Il n'y aura pas de transition si tout le monde n'embarque pas. L'ensemble du tissu économique doit avancer à sa manière, avec ses moyens. On parle d'argent, mais aussi avant tout d’une communication structurée, une sensibilisation digne de ce nom, des messages clairs et un vocable accessible à tout le monde.
    (CN) - Je prends l’exemple du permis d’environnement. Aucune entreprise ne peut exploiter sans un permis. En 20 ans, il n'est toujours pas dématérialisé. Or c’est une procédure génératrice de paperasse. On aurait pu déjà passer à la dématérialisation depuis belle lurette. La digitalisation, ce sont aussi des enjeux majeurs, même et surtout pour nos PME.
    (CC) - On a vraiment besoin d'éléments fédérateurs, d'avoir un projet qui est porté à l'échelle d'une région et pour l'ensemble des acteurs économiques.

  • Mesdames, quelques mots sur le budget fédéral ?

    (CN) - Pour l’UWE, l’un des points positifs du dernier conclave budgétaire est l’étendue de la mesure des flexi-jobs car cela permet aux entreprises de trouver une solution, partielle certes, aux difficultés de recrutement. Plus globalement, l’analyse des décisions montre une absence de prise en compte de l’enjeu crucial : résorber l’écart de coût salarial avec nos voisins.
    (CC) - Le budget fédéral présente certaines qualités et fait avancer quelques dossiers portés par UCM depuis de nombreuses années. Il n’a pas alourdi davantage la barque fiscale des indépendants dont les épaules sont déjà bien chargées. Nous avons aussi salué l’élargissement des flexi-job mais restons sur notre faim concernant la taxation sur le travail.

  • Pour terminer, les prochains chantiers et virages de l’UWE et d’UCM ?

    (CN) - Mémorandum, à tous les étages ! Mais pas seulement. Notre message au Gouvernement est clair : il reste huit mois avant les élections et il y a du pain sur la planche.
    (CC) - La double difficulté des prochains mois pour nos équipes respectives, c'est justement continuer à suivre les projets en cours et puis s'assurer que notre voix soit correctement entendue, retranscrite dans les programmes électoraux. C’est une année charnière et c’est maintenant, dans les déclarations de politique régionale, que l’on va voir à quelle sauce nous serons mangés sur une accélération de la transition.

contexte

Caroline Cleppert (UCM) / Cécile Neven (UWE)

Fédérer et enthousiasmer

Deux femmes, deux parcours, mais un objectif commun !

Elles sont toutes deux universitaires et ont exercé leur métier sous plusieurs bannières,
expertes dans des milieux différents mais complémentaires. Cécile Neven et Caroline Cleppert se sont toutes deux engagées en faveur des entreprises et des PME et elles ne comptent, d’aucune manière, faire de la figuration. C’est leur première interview croisée et déjà, des ponts se créent entre ces deux capitaines. Proches et uniques, leurs deux organisations patronales ont des choses à se dire. Et à défendre ensemble, à quelques mois des élections.