Catherine Fonck

Cheffe de groupe CDH à la Chambre
17/05/21

Médecin spécialiste en néphrologie, elle s'est lancée en politique sur la suggestion de son beau-père, Charles Doyen, pilier hennuyer du PSC. En 2003, à 34 ans à peine, elle est députée fédérale. Elle l'est toujours dix-huit ans plus tard. Elle a été ministre de la Santé en Communauté française et, pendant trois mois, secrétaire d'État à l'Environnement dans un gouvernement en affaires courantes.

Aux élections de 2019, elle a récolté 19.333 voix de préférence dans le Hainaut, très joli troisième score personnel derrière Elio Di Rupo (PS) et Denis Ducarme (MR).

On peut être surpris une fois, pas deux

Il faut se préparer au retour de "quelque chose". Médecin et cheffe de groupe CDH à la Chambre, Catherine Fonck estime que la gestion belge et européenne de la pandémie était très loin d'être idéale. Apprenons de nos erreurs, plaide-t-elle…

Thierry Evens

Les aides régionales différentes vont creuser l'écart nord-sud.
  • - En tant que médecin, vous avez participé au combat contre le Covid ?

    - Oui. Lors de la première vague et plus encore lors de la deuxième, je suis allée en renfort dans une maison de repos et de soins. Dès janvier, j'ai vacciné en maisons de repos et dans les hôpitaux, à la fois le personnel soignant et les patients. Pour moi, c'est une évidence que tout le monde soit sur le pont. Vu le calendrier de livraison, nous pouvons proposer une première dose à tout le monde d'ici début juillet, quitte à élargir les horaires des centres et à travailler sept jours sur sept.

  • - La vaccination avance correctement ?

    - Maintenant oui. Au départ, même si nous étions limités par les livraisons, il était possible d'aller plus vite. Nous avons eu des délais de quinze jours, voire trois semaines, entre la livraison des doses et l'injection. De plus, nous n'avons pas tenu compte de la recommandation de l'OMS (Organisation mondiale de la santé, NDLR), formulée dès le 5 janvier, d'espacer les deux doses. En mettant le paquet sur la première injection, nous aurions protégé plus vite davantage de personnes à risque et nous aurions réduit le danger de la troisième vague à laquelle nous n'avons pas échappé.

  • - N'aurait-il pas fallu autoriser les médecins généralistes à vacciner ?

    - Je ne remets pas en cause les centres de vaccination : nous en avons besoin et ils fonctionnent à présent très bien. Mais oui, vous avez raison, c'était une erreur de ne pas associer les médecins de première ligne. Pour deux raisons. D'abord, il faut pouvoir vacciner au cabinet ou même à domicile des patients âgés, en perte d'autonomie, parfois isolés. De plus, les généralistes sont des personnes de confiance et ont un rôle crucial à jouer pour convaincre les personnes qui ont des doutes.

    Vaccination : soyons patients et transparents

  • - Est-ce que rendre la vaccination facultative n'a pas accrédité l'idée qu'elle pouvait être dangereuse ?

    - Je crois que c'est le contraire. La nature humaine est ainsi faite que s'il y avait eu une obligation par décision de l'État, beaucoup de gens auraient considéré qu'il n'était pas sûr de lui. Il faut expliquer, convaincre, entendre les interrogations et y répondre. Nous devons aussi être totalement transparents sur les données de pharmacovigilance. Des centaines de millions de vaccins ont déjà été injectés dans le monde. Nous connaissons bien les effets secondaires et les risques rarissimes de complications. Cela permet de faire évoluer les schémas de vaccination.

  • - Les mettre en avant, n'est-ce pas décourager les jeunes, qui sont peu touchés par le Covid ?

    - Vous oubliez qu'avec les variants, la population des soins intensifs rajeunit. De plus, il existe ce qu'on appelle le "long Covid", qui n'épargne personne. La pathologie semble peu sévère mais elle est très invalidante avec au fil des mois des atteintes neurologiques, cardiologiques, pulmonaires et un état général affaibli. Dans la campagne de vaccination, les autorités ont mis en avant les avantages collectifs : retrouver nos libertés, l'activité, la vie sociale… On a peut-être oublié de souligner les avantages individuels, qui ne concernent pas que les personnes âgées ou fragiles.

  • - Est-ce acceptable que des personnes non vaccinées travaillent dans un milieu médical ?

    - Idéalement, il faudrait un taux de vaccination de 100 % dans les hôpitaux, les maisons de repos… On n'y est pas. Il faut comprendre la frilosité de certains soignants et y répondre. Comme je vaccine en hôpital, je sais que des personnes qui ont été malades ont préféré attendre. C'est compréhensible. Il est trop tôt pour faire le bilan de la vaccination en milieu médical. En tout cas, si vous dites, "pas de vaccin, pas de travail", vous n'arrangez rien, surtout compte tenu de la pénurie de soignants.

  • - Faut-il instaurer un "pass corona" pour retrouver au plus vite une vie normale ?

    - Je dirais un "pass santé", pas seulement pour les personnes vaccinées, mais aussi pour celles qui ont été malades et ont donc développé des anticorps, et pour les personnes testées négatives. L'arme du testing est restée sous-utilisée en Belgique. Je plaide pour la mise à disposition gratuite de deux autotests par semaine aux personnes non vaccinées. En cas de résultat positif, on s'isole pendant une dizaine de jours. C'est mieux que le modèle actuel qui empêche tout le monde d'avoir des activités. L'Autriche notamment a mis en place un "autotesting" massif. Donc c'est possible.

  • - Fournir deux tests par semaine ! La logistique ne suivrait pas…

    - C'est un choix politique. L'autotest léger est validé dans la littérature scientifique depuis des mois. Le gouvernement en a d'ailleurs fourni un lot gratuitement aux entreprises. Cela aurait pu être fait sur une grande échelle. Bien sûr, à huit ou dix euros le test, ça coûte cher. Mais beaucoup moins cher que le semi-confinement de très longue durée que nous connaissons ! Nous n'avons pas déployé les armes de testing, tracing et isolement, ou nous l'avons fait de façon très modeste. Si nous avions adopté un mode "warrior", nous serions sortis plus vite du confinement, après des vagues épidémiques moins fortes.

    La quatrième vague

  • - Des fermetures prolongées ou le troisième arrêt imposé aux commerces et aux métiers de contact étaient évitables ?

    - La dynamique du virus est exponentielle. Il se répand doucement puis ça explose. Plus on tarde à réagir, plus le pic est élevé et long. Alors oui, je pense que nous aurions pu éviter des fermetures et en tout cas en réduire la durée avec une stratégie de confinement plus précoce, des autotests massifs et un tracing des super-contaminateurs, qui n'a jamais été mis en place. En réalité, nous ne nous sommes jamais posé la question de base : comment traverser une pandémie en minimisant les dégâts sur la santé et l'économie ?

  • - Je vous pose la question…

    - Deux attitudes différentes ont été adoptées dans le monde. En Belgique, nous avons attendu jusqu'à la dernière minute pour préserver l'économie. Quand le nombre de malades a explosé et que les hôpitaux ont été menacés de saturation, nous avons confiné puis maintenu des restrictions – un peu plus, un peu moins – pendant une très longue période. D'autres pays d'Asie ou d'Océanie ont opté pour un confinement très précoce avec la trilogie testing, tracing, isolement. Il est clair que cette méthode est la meilleure quand vous comparez l'impact du virus sur la mortalité et la santé d'une part, sur l'économie et la vie sociale de l'autre.

  • - Dans le contexte européen, la Belgique n'avait pas le choix…

    - Je connais l'argument : "Ces pays sont des îles, les citoyens sont plus obéissants." Ce qui me chagrine, c'est que le débat n'a jamais eu lieu, ni dans notre pays, ni au niveau européen. Nous devons l'avoir ! Que va-t-il se passer en septembre, octobre ou novembre ? Tout va rouler ? J'espère que oui mais des variants plus agressifs peuvent apparaître. Il faudra peut-être adapter les vaccins. Nous devons être prêts cette fois-ci.

  • - Une quatrième vague est possible, voire probable ?

    - Nous avons toutes les armes nécessaires pour contrôler la situation. Mais nous devons être capables de les utiliser. Donc un : nous devons vacciner massivement en Belgique, en Europe mais aussi dans le monde, pour atteindre une immunité collective globale. Deux : nous devons surveiller les variants très attentivement. Et trois : nous devons nous préparer au retour de "quelque chose", une variante du Covid, un autre virus… Ce sera peut-être dans un an, cinq ans, dix ans, cinquante ans ou jamais, mais au vu des conséquences catastrophiques de cette pandémie, nous devons avoir une stratégie, des armes, des cellules de veille à activer en cas de problème. On peut être pris par surprise une fois, pas deux.

  • - Est-ce que les aides octroyées aux acteurs économiques sont suffisantes ?

    - J'ai des problèmes avec ces aides. Il y a trop de lourdeur administrative. En même temps, elles ne sont pas toujours bien ciblées. Des indépendants qui ont subi un impact important ont été oubliés. Enfin, le différentiel entre les aides régionales ne peut pas être ignoré. Les indépendants et les PME de Wallonie et de Bruxelles étaient déjà au départ dans une situation moins favorable que leurs homologues en Flandre. Le différentiel va se creuser.

  • - Les francophones auront plus de mal à se relancer ?

    - C'est évident. C'est pourquoi la reprise des activités ne peut pas signifier la fin des aides. Nous avons besoin d'un dispositif d'accompagnement à la relance, pas pendant un mois ou deux. Ce doit être un plan à moyen terme de redéploiement économique, axé sur les plus petits, car ce sont eux qui ont le plus souffert.

  • - Que peut-on mettre dans ce plan ?

    - Nous devons prolonger les dispositifs existants comme le droit passerelle et les reports de charges. Baisser la TVA sur certains services, faciliter l'accès au crédit. La PRJ (procédure de réorganisation judiciaire, NDLR) est aussi cruciale. La réforme du gouvernement n'est pas allée assez loin. Il faut vraiment donner du temps aux indépendants et PME à court de liquidités et les soutenir. J'espère que nous pourrons modifier le dispositif pour le rendre plus efficace.

    Fera-t-il beau demain ?

    Lancée début 2020 avec pour nom de code "Il fera beau demain", la réflexion profonde sur l'avenir du parti a été freinée par la crise du Covid. Les travaux se poursuivent sur une plateforme web et devraient donner naissance à un nouveau mouvement en janvier 2022.

  • - Avec cinq députés sur 150, le CDH est le premier parti démocratique francophone dans l'opposition. Vous vous sentez respectés ?

    - Si vous me demandez si c'est facile, la réponse est non. Ça n'empêche pas de travailler et de jouer un rôle d'aiguillon. Dans la gestion de la pandémie, le ministre de la Santé et le gouvernement ont parfois fini par appliquer ce que je plaidais. Mais globalement, la majorité en place travaille très peu avec l'opposition et avec les gens de terrain. La loi pandémie par exemple, c'est du travail en vase clos.

  • - Ils ont déjà du mal à s'entendre entre eux, non ?

    - C'est clair que les décisions manquent de cohérence. Cela s'est vu dans les comités de concertation. C'est le cas aussi dans le plan de relance avec les six milliards d'euros européens. Il n'y a pas de stratégie d'ensemble. Chacun accroche une plume à son chapeau sans trop de souci des besoins. Moi, ça me fait mal aux tripes quand des entrepreneurs, dans la construction ou ailleurs, me disent qu'ils ne trouvent pas de main-d'œuvre formée et recrutent à l'étranger. La question des métiers en pénurie aurait dû être une priorité absolue du plan de relance.

  • - Où en est le processus de rénovation du CDH lancé début 2020 ?

    - Nous avions prévu des concertations, des rencontres citoyennes, du porte-à-porte… Tout cela a dû être mis en veilleuse. Notre plateforme "Il fera beau demain" fonctionne assez bien avec plus de 20.000 personnes inscrites et beaucoup d'échanges. Mais rien ne remplace le contact direct. Nous sommes décalés dans le temps.

La politique est devenue binaire. C'est blanc ou c'est noir. Ça m'exaspère !
  • - L'objectif, c'est de redéfinir le projet du CDH ?

    - Nous devons oser une remise en question complète : de notre parti, de l'ensemble des partis, de la façon dont les décisions sont prises en Belgique. L'objectif n'est pas seulement de changer de nom et de ravaler la façade. C'est la démocratie qu'il faut revoir.

    Un centre trop divisé

  • - Vous avez dix-huit ans d'expérience en politique. C'est devenu plus difficile ?

    - Ce qui me frappe, c'est qu'on accentue de plus en plus le côté binaire des choses. C'est tout blanc, ou tout noir. Deux camps s'affrontent : regardez les syndicats et les employeurs à la concertation sociale. Moi, mon ADN, c'est la nuance et ça m'exaspère de voir que ce qui est caricatural, exprimé en trois secondes, permet de faire le buzz sur les réseaux sociaux, mais aussi la une des médias. C'est aux antipodes de la manière dont j'ai envie, en tant que médecin, de faire de la politique. Ce qui me désespère aussi, c'est le court-termisme. On ne travaille même plus avec l'œil sur la fin de la législature. Cette immédiateté ne correspond pas à la réalité du terrain.

  • - Cette dérive est due aux réseaux sociaux ?

    - Pas uniquement. L'éclatement des partis aggrave la situation. Entre les promesses électorales et les réalisations possibles, dans un gouvernement de coalition, le fossé est profond et sape la confiance des citoyens. Nous devons remettre en question notre modèle "particratique". Sinon, la situation risque de dégénérer.

  • - La nuance et le travail à moyen et long termes sont des caractéristiques du centre ?

    - Oui, je le crois.

  • - Ce sont aussi des caractéristiques de Défi ?

    - Nous sommes proches d'eux sur le plan socio-économique.

  • - Vous n'excluez pas un rapprochement ?

    - Je ne suis pas président de parti. À chacun son job. À titre personnel, si vous me demandez si le paysage politique doit évoluer et si l'éclatement actuel est nocif, ma réponse est deux fois oui.

Contexte

CDH

Sept ans d'opposition et un doute existentiel

De 1958 à 1999, le PSC devenu CDH a participé au pouvoir. Puis ce fut l'opposition jusqu'en 2007 et à nouveau depuis 2014. La formation est tombée de neuf à cinq sièges en 2019. Un processus de rénovation a été lancé… et perturbé par le Covid. En attendant, ce n'est plus qu'un "groupeke", parfois amené à des collaborations techniques avec les deux élus de Défi.

Une fusion pourrait-elle recréer un centre politique fort en Wallonie et à Bruxelles ? "Aucun rapprochement structurel entre les deux partis n'est à l'ordre du jour", assurent les deux présidences. Catherine Fonck le regrette clairement. C'est un avis de poids…

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