Olivier Maingain

Bourgmestre, député, président de parti, le trublion devenu pacificateur
06/12/18

À 60 ans, Olivier Maingain totalise 62 années de mandats au plus haut niveau ! Il est député depuis 27 ans, bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert depuis 12 ans et président de parti depuis 23 ans.

En 1995, il a été élu à la tête du FDF (Front démocratique des francophones), formation créée pour contrer l'influence flamande à Bruxelles. Les "francophonissimes" sont alors alliés aux libéraux. En 2011, les deux formations divorcent et en 2015, le FDF devient Défi (Démocrate fédéraliste indépendant). Le ton change. Le parti honni en Flandre, considéré comme provocateur, demande une mise au frigo prolongée du communautaire et se définit comme centriste.

Le gouvernement favorise la FEB. Ce n'est pas bon pour la paix sociale.

Nous allons ramener la sérénité politique, l'équilibre social

Centriste progressiste : c'est ainsi que le président de Défi définit son parti. Il ne condamne pas toute l'action du gouvernement fédéral, mais lui reproche d'avoir rompu les équilibres sociaux. Il plaide pour une réflexion et un stop communautaires de longue durée.

Thierry Evens

(NDLR : cet entretien a eu lieu avant la crise gouvernementale liée à la signature du pacte de l'ONU sur les migrations.)

  • - Le bilan du gouvernement fédéral est magnifique selon les uns, horrible selon les autres. Où vous situez-vous ?

    - Je n'aime pas les propos caricaturaux. La priorité était la création d'emplois et 218.000 emplois ont été créés. Maintenant, soyons de bon compte : tous ces emplois ne sont pas de grande qualité. Les temps partiels et les contrats à durée déterminée sont nombreux. Et surtout, le taux d'activité augmente moins vite en Belgique que dans les pays environnants. Nous ne sommes pas les plus performants en Europe sur le plan économique, loin de là. Nous ne pouvons donc pas être satisfaits du bilan.

  • - Appréciez-vous la baisse du coût du travail ?

    - La baisse globale des charges patronales est positive, même si nous aurions été davantage sélectifs et axés sur les bas salaires. Je salue la suppression des cotisations patronales sur le premier emploi. C'était dans notre programme en 2014. Le gros point noir, c'est que le gouvernement n'a plus fait confiance à la dynamique de la concertation sociale. Pour garder un climat serein, il faut respecter tous les partenaires sociaux. Je reconnais que la FGTB a parfois eu des réactions brutales et disproportionnées, mais je comprends qu'elle ait perçu un déséquilibre.

  • - C'est le gouvernement de la FEB (grandes entreprises) ?

    - Oui. Au point que même vous, à l'UCM, vous vous êtes plaints de ne pas être écoutés, lors de la réforme de l'impôt des sociétés notamment. Favoriser un partenaire social, ce n'est pas bon. Les patrons responsables savent qu'un dialogue social préservé est dans leur intérêt.

    Cinq ans, au moins, de réflexion institutionnelle

  • - Avons-nous vécu cinq ans de paix communautaire ?

    - Sur le plan institutionnel pur, oui. Moi, je plaide pour un stop de très longue durée et une évaluation des réformes passées, en particulier de la sixième et dernière. Nous avons été seuls à nous y opposer en 2014. Aujourd'hui, je n'entends plus personne nulle part s'en féliciter et dire qu'elle lui simplifie la vie. C'est au contraire un nid de complexités et parfois de concurrence malsaine entre les entités.

  • - Il faut ramener des compétences au fédéral ?

    - Dans certains cas, oui. Je suis un fédéraliste ardent, mais le fédéralisme doit amener davantage d'efficacité. Je n'ai pas voulu le salmigondis institutionnel qu'on connaît. Nous devons créer un centre de réflexion, comme le centre Harmel après la guerre, qui réunisse des experts des mondes politique, économique et académique. À lui de redéfinir et de proposer une distribution claire des responsabilités. C'est une réflexion qui durera au moins le temps d'une législature.

  • - Ne faudrait-il pas, aussi ou d'abord, une réflexion entre francophones ?

    - Certainement. J'ai tenté en vain de l'amorcer lors de la crise de l'été 2017 en proposant que nous nous mettions d'accord entre nous sur un point essentiel : la qualité de l'enseignement. Je voudrais une fois pour toutes en finir avec les saccades, les changements d'orientation à chaque nouvelle majorité. Les écoles ont besoin de prévisibilité dans les objectifs, de stabilité dans les équipes et d'autonomie pour les directions et les pouvoirs organisateurs.

  • - N'est-ce pas l'objectif du pacte d'excellence ?

    - En effet. Il contient des éléments favorables et d'autres contestables. Je voudrais en tout cas que tous les politiques aient l'intelligence de sanctuariser le parcours pédagogique de l'enfant. Définir un tronc commun, oui ou non, et à quelles conditions. Puis on n'y touche plus et on donne l'autonomie de gestion à chaque établissement. Cela suppose – et certains vont sursauter – une adaptation du statut des enseignants. Il ne s'agit pas de menacer leur carrière mais de faciliter leur mobilité, y compris entre les réseaux, et de pouvoir récompenser ceux qui s'engagent dans les écoles réputées difficiles, à discrimination positive.

    Solutions mobilité

  • - Défi participe au gouvernement bruxellois. Quelle est sa marque ?

    - Didier Gosuin (NDLR : ministre de l'Économie et de l'Emploi) a fait un travail remarquable, en lien étroit avec l'UCM, pour simplifier et dynamiser les processus de soutien à la création d'entreprises et d'emplois. Il a fait adopter un "small business act" pour tenir compte des petites entreprises dans toutes les décisions. Il a créé le guichet unique 1819, ramené vingt-huit mécanismes d'aide en un seul instrument compréhensible, avec un accompagnement personnalisé. Clairement, c'est le ministre des PME le plus efficace depuis très longtemps en Région bruxelloise. Cécile Jodogne, au commerce extérieur, a travaillé dans le même esprit.

  • - La mobilité est devenue la première préoccupation des entrepreneurs bruxellois...

    - Oui, oui, oui. Ce gouvernement a pris à bras-le-corps la maintenance des infrastructures, négligée depuis dix ans. C'était indispensable. Ce n'est évidemment pas suffisant. Nous devons nous engager dans un projet ambitieux d'alternative à la voiture. Je propose, pour les ménages à revenus faibles et moyens, des chèques mobilité, utilisables dans les transports en commun mais aussi pour un taxi, un véhicule partagé, un vélo électrique... La mobilité doit s'adapter à la façon de vivre. Ainsi, je vais créer une prime communale pour les ménages qui arrivent à Woluwe-Saint-Lambert et qui renoncent à la voiture ou à une des deux voitures. Cette prime sera significative et croissante dans le temps, pour conforter le choix.

  • - Une meilleure gestion des chantiers publics n'est-elle pas nécessaire ?

    - Ça, c'est un sujet qui me fâche. Il manque un pilote politique dans l'organe de coordination des chantiers, qui se réunit chaque semaine...

  • - Le ministre Pascal Smet ne fait pas son travail ?

    - Il devrait s'investir pour veiller à ce que les travaux publics restent soutenables pour les entrepreneurs. C'est un sujet important. Le ministre Gosuin a revu, en concertation avec l'UCM, l'aide régionale aux commerçants victimes de travaux. Dans ma commune, je la complète avec un dédommagement qui peut atteindre 5.000 euros.

    La spécificité du parti

  • - Pour les élections de mai 2019, vous présenterez Défi comme libéral et social ?

    - Nous sommes des centristes progressistes. Notre action montre que nous sommes plus libéraux que les libéraux dans la confiance que nous plaçons en l'initiative individuelle et l'entrepreneuriat. En même temps, nous sommes véritablement sociaux, à la différence des socialistes qui protègent des institutions et des procédures archaïques de protection sociale. La vie peut être très dure pour certains concitoyens victimes d'aléas de la vie, parce que le système actuel ne répond pas correctement à leurs besoins. Défi avance des idées novatrices pour maintenir une société harmonieuse et pacifique. Nous vivons en Europe dans des démocraties qui ont pu créer un modèle de développement pour tous. Ne perdons pas cet acquis.

  • - Le mouvement des gilets jaunes est un signal d'alerte ?

    - Écartons les quelques casseurs et les professionnels de l'anarchie. Il reste l'expression d'un malaise. Les gouvernements, en Belgique et en Europe, n'ont plus la hausse du pouvoir d'achat dans leurs priorités. On le voit : la part des revenus du travail diminue dans la distribution des richesses. Ce n'est pas favorable à la croissance économique, largement dépendante des capacités financières des ménages. Il va de soi que la hausse des revenus du travail doit être raisonnable et négociée.

  • - Qu'est-ce qui vous différencie d'Écolo ?

    - Il existe au sein de ce parti un courant écologiste, sans doute minoritaire mais très actif, qui affirme que tout acte de consommation, même responsable, est une atteinte aux équilibres environnementaux. S'il faut abandonner l'économie de marché, en revenir à une sorte de comportement autarcique, la pauvreté va gagner du terrain. Je fais le choix d'une écologie solidaire, pas régressive.

  • - Pourquoi pas un rapprochement avec le CDH ?

    - Tout est toujours possible en politique. Mais je dois constater que ce parti n'a plus beaucoup de réflexion sur le développement des villes et leur rôle dans l'économie. Je ne sens pas, par exemple, une volonté de décourager l'usage de la voiture par les navetteurs en envisageant un péage urbain ou une taxe kilométrique intelligente. Par ailleurs, le CDH reste un parti de pilier. Il ne s'est pas adapté à la pluralité philosophique et religieuse de la société. Les gens ne choisissent plus leurs services – hôpitaux, écoles... – en fonction de leurs convictions, mais pour la qualité.

  • - Regrettez-vous l'échec de la pension à points ?

    - Tout à fait. C'est un système équitable, transparent et prévisible, à condition bien entendu de garantir la valeur du point. Il permettrait d'évoluer vers la moyenne européenne, où la pension légale équivaut à 71 % du salaire moyen. Chez nous, le taux de remplacement est de 63,7 %, avec de grandes disparités. C'est un dossier qu'il faudra reprendre et finaliser lors de la prochaine législature.

  • - En attendant, on a perdu cinq ans ?

    - Je ne dirais pas cela. Le gouvernement a allongé les carrières. Le report de l'âge de départ à la retraite était une nécessité. Nous avions eu le courage de le dire en 2014. Le dossier de la pension à points n'a pas abouti parce qu'il a été mal engagé. Si on allonge les carrières, il faut en même temps définir les éléments qui justifient un départ anticipé. Il fallait tout de suite proposer une méthode pour définir la pénibilité, avec les partenaires sociaux. Ça, c'est du libéralisme social.

  • - Faut-il poursuivre la réduction des charges fiscales ?

    - En impôt des sociétés, il faut rétablir l'équité pour les chefs de PME dont la rémunération n'est pas suffisante pour bénéficier du taux réduit et supprimer l'amende qui les menace. Sinon, le travail a été fait. En ce qui concerne les personnes physiques, nous devons avoir l'audace d'une réforme qui diminue véritablement les taux de prélèvement, mais en réfléchissant à une forme de globalisation des revenus. Il faut aussi supprimer des niches de déductibilité, mais immuniser les dépenses d'entretien du patrimoine. Ce serait très efficace contre le travail au noir qui pénalise les entreprises correctes.

  • - Votre programme serait-il plus facile à mettre en œuvre dans une alliance avec le MR ou avec le PS ?

    - Je dirais dans une coalition qui veut rétablir les équilibres sociaux, promouvoir le dialogue et la cohésion nécessaire à la prospérité. Le Belge recherche la sérénité et la sécurité juridique sur le long terme, pas les foucades à la française. C'est ce que nous voulons garantir.

    La dernière campagne

  • - Quelles sont vos ambitions pour mai prochain ?

    - Continuer à percer en Wallonie. Là où nous sommes présents, nous avons enregistré aux communales des résultats au-delà des 5 ou 6 %, avec des pointes à 15 % voire davantage. Nous devons donc travailler à un maillage complet du territoire wallon. Si nous existons, nous apporterons un autre regard sur la gestion publique. Quand je vois que la bande à Moreau est toujours à la tête de Nethys ! Si on ne dissout pas cette intercommunale par voie décrétale, comme je le demande depuis longtemps, je vous fiche mon billet que le scandale va encore durer des années.

  • - Vous voulez rester au gouvernement à Bruxelles ?

    - Certainement. Nous voulons participer aux coalitions partout où c'est possible, pour apporter l'équilibre, l'apaisement, la créativité.

  • - Vous-même, vous ne serez pas candidat ?

    - En effet. Il est temps de faire monter la jeune génération. Je quitterai la Chambre en mai et, en octobre, je ne demanderai pas le renouvellement de mon mandat à la présidence du parti. Je ne serai plus que bourgmestre d'une belle commune : Woluwe-Saint-Lambert. J'ai envie d'écrire et d'avoir un peu de temps de vie. J'ai eu des journées infernales, mais je suis comblé de ce que j'ai pu faire à la tête du parti. Défi aujourd'hui n'a plus rien à voir, ou très peu, avec le FDF de mon entrée en fonction. Nous avons créé un vrai parti généraliste et novateur.

  • - Vous en avez marre de la politique ?

    - Pas du tout... mais alors pas du tout ! Je continuerai à m'investir dans la réflexion au sein de mon parti. Je soutiendrai la jeune génération à la demande, comme j'ai été soutenu par les anciens jadis. Je reste dans le débat politique mais d'autres incarneront l'action et le message de Défi. On peut se lasser de voir toujours la même personne dans les médias.

Des chèques mobilité seraient une bonne alternative à la voiture.

Contexte

Défi

Libéral et social, sérieux et créatif : Défi veut exister au centre de l'échiquier politique. Avec quelques grands formats et 12 députés sur 72 à Bruxelles, il fait partie du paysage. En Wallonie, il a tout à prouver. C'est la clé pour dépasser le maigre chiffre de deux élus fédéraux.

Le test grandeur nature des élections locales d'octobre dernier donne un verre à moitié vide ou à moitié plein. Avec 4 % dans trois provinces (Hainaut, Liège, Luxembourg), 5,6 % à Namur et 7,5 % dans le Brabant wallon, Défi existe. Un petit peu. Il lui reste environ 160 jours pour convaincre...

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