Thierry Neyens

Président de la fédération Horeca Wallonie
29/10/19

Cuisinier de formation, Thierry Neyens (56 ans) a travaillé dans des maisons étoilées à Bruxelles et en Ardenne. Il est exploitant d'un hôtel-restaurant à Arlon. Dès l'âge de 24 ans, il s'est engagé dans la fédération Horeca Wallonie, qu'il préside depuis huit ans. Il s'inquiète de la relève. Il faut dire que son engagement demande du temps, pris sur ses loisirs et sur son travail, grâce à la complicité de son épouse. Il siège dans plusieurs organismes régionaux et fédéraux et à la commission paritaire 302, dont relèvent les employeurs horeca. L'asbl qu'il préside, basée à Jambes (Namur), occupe six personnes, au service des indépendants et employeurs du secteur.

Dans l'horeca, il faut être professionnel !

Cafetiers, restaurateurs et hôteliers doivent être de vrais entrepreneurs. La passion et le talent ne suffisent plus. Ne réussissent que ceux qui peuvent calibrer leur projet, supporter les charges, mais aussi s'adapter aux évolutions technologiques et aux besoins des clients.

Thierry Evens

Trop de jeunes ne se rendent pas compte de la complexité du métier
  • - Le secteur horeca représente combien d'établissements ?

    - En Belgique 60.000, dont 17.000 en Wallonie. Près de la moitié des exploitants travaillent sans personnel, souvent en couple. Et parmi les employeurs, 85 % comptent moins de cinq salariés.

  • - Pourquoi autant d'entreprises sans personnel ?

    - Nous sommes dans un secteur où les contraintes et les obligations administratives sont innombrables et éloignent l'entrepreneur de son métier d'artisan. Devenir employeur, c'est augmenter encore la complexité. Et vu le coût du travail, il faut avoir les reins solides et accepter de prendre un risque. Le contexte est mouvant. Il faut être prudent. Cela dit, la dispense de cotisations patronales sur la première embauche est une bonne mesure pour l'emploi. Il y en a eu d'autres lors de la dernière législature, comme l'aménagement du travail étudiant, l'extension des heures supplémentaires et la création des flexijobs. Le besoin en flexibilité est énorme. En fonction de la météo, d'un événement à proximité, de la fermeture d'un confrère, vous pouvez passer de zéro à trente-cinq couverts en une heure de temps.

  • - La prudence, c'est également se faire accompagner au démarrage ?

    - C'est indispensable ! Trop de jeunes indépendants ne se rendent pas compte de la complexité du métier. Avant de se lancer, il faut réaliser une étude de marché, avoir un bon business plan. Il faut dresser l'inventaire des compétences nécessaires et s'entourer d'experts compétents : un bon comptable, un bon notaire, un bon secrétariat social. J'ajoute l'importance de la fédération professionnelle Horeca, qui assure une solidarité entre les exploitants du secteur, mais qui permet en outre de se former, de s'informer, de partager et d'échanger de bonnes pratiques.

  • - Est-ce que le dernier gouvernement fédéral vous a facilité la vie ?

    - Il a essayé de simplifier l'administration en la modernisant et c'est vrai que des plateformes numériques permettent de remplir ou de télécharger des documents avec une certaine facilité. À côté de ça, nous devons remplir le registre UBO (NDLR : registre des bénéficiaires effectifs, en anglais "ultimate beneficial owner"), nous avons de nouvelles obligations bien-être dans le règlement de travail, nous devons respecter le RGPD (NDLR : règlement général sur la protection des données)… Les charges restent bien supérieures à ce qui est pratiqué dans les pays voisins. Prenez la TVA. Elle a été abaissée à 12 % sur la nourriture. Elle est restée à 21 % sur les boissons, y compris les eaux et les softs. Au Luxembourg, la TVA est à 3 % dans les restaurants !

    Cafetiers plus libres

  • - Le secteur horeca comprend les cafés. C'est une activité menacée ?

    - Il y a cent ans, il y avait un bistrot dans chaque quartier et chaque village. C'était le cœur de la vie sociale. La situation s'est dégradée pendant des années avec des problèmes de rentabilité et d'accès au crédit. Les cafetiers étaient pieds et poings liés par rapport aux brasseries, dont ils étaient quasiment des franchisés. La révision du contrat de brasserie, il y a deux ans, leur a rendu de l'indépendance.

  • - L'espoir revient ?

    - Je me répète : pour réussir, il faut développer un modèle rentable, être formé et accompagné. Cela suppose un bon emplacement, des contrats win-win avec ses fournisseurs, l'exploitation de produits tendance comme les bières spéciales et locales, une activité de petite restauration si nécessaire… Un cafetier doit être très professionnel. En dehors des lieux touristiques ou de grand passage, c'est aussi une forte personnalité pour qui le client devient presque un ami.

  • - La limitation des jeux de hasard par établissement est une menace ?

    - C'est clair que ce n'est pas favorable. Je peux comprendre la nécessité de réglementer les jeux. La concurrence est forte avec les agences de paris, les librairies et bien sûr internet. Je pense qu'il faut absolument maintenir la possibilité pour les cafetiers de proposer des jeux dans le respect de la protection du consommateur. Cela peut faire partie de son offre, de l'ambiance, et le chiffre d'affaires dégagé, même s'il est modeste, est parfois indispensable pour joindre les deux bouts.

  • - L'interdiction de fumer a nui au secteur ?

    - Encore une fois, je peux comprendre mais oui, chacun a dû repenser son modèle d'entreprise. Certains ont fait le choix d'être 100 % non-fumeurs ; d'autres ont aménagé un fumoir ventilé, dans les normes. Il est question maintenant d'interdire les fumoirs. J'y suis opposé. Cela va fragiliser des exploitants qui doivent encore souvent amortir leur investissement. Et je ne crois pas que la santé publique y gagnera si les gens vont fumer entre amis chez eux, dans un espace non ventilé.

  • - Faut-il interdire le tabac en terrasse ?

    - Tout est question d'information. À l'exploitant de choisir et d'identifier clairement si une zone est fumeurs ou non-fumeurs. Bien annoncer les choses évite les conflits et les ennuis.

    Les entreprises comptent leurs sous

  • - La restauration est une activité en difficulté ?

    - C'est une activité complexe et fragile. Les consommateurs voient des établissements pleins et des prix plutôt élevés. Ils pensent que l'exploitant s'en met plein les poches. Ce n'est pas vrai. Il n'y a pas d'argent facile dans l'horeca. Les charges sont élevées. Les compétences nécessaires en cuisine et en salle sont pointues. Nous devons intégrer les préoccupations énergétiques et environnementales. Nous devons nous faire aux outils numériques dans la gestion des entreprises et des relations clients. J'ajoute que depuis la crise financière de 2008, la clientèle d'affaires a énormément changé. Il faut sans cesse évaluer sa gamme de prix et son modèle. Il y a dix ans, la plupart des restaurants étaient ouverts midi et soir, six jours sur sept. De plus en plus, on ouvre uniquement le soir ou le midi, quatre ou cinq jours par semaine, pour éviter de travailler à perte.

  • - Les déjeuners d'affaires sont moins nombreux ?

    - Certainement. La tradition voulait qu'un contrat se signe autour d'une bonne table. C'est fini. Il reste une clientèle professionnelle, heureusement, mais les euros sont comptés. C'est pourquoi il est dangereux de dépendre d'un seul profil de clients. Je conseille de travailler sa carte pour toucher des profils différents selon les jours et les heures.

  • - Les particuliers ont aussi réduit leurs dépenses ?

    - En ce qui concerne les alcools, sûrement. Apéro, vin, digestif : ce n'est plus la règle des repas d'affaires ni même des dîners en famille ou entre amis. Tant mieux pour la santé et la sécurité routière, mais les recettes s'en ressentent. C'est pour ça que nous sommes opposés à la volonté du gouvernement wallon d'imposer la carafe d'eau gratuite. Cela se fait en France, oui, dans un contexte de charges bien moins élevées. Savez-vous que nous payons des accises non seulement sur l'alcool, mais aussi sur l'eau, le café ou le thé ? Oui, il y a des accises sur des feuilles de menthe séchées !

  • - Les fournitures de base sont aussi moins chères en France ?

    - C'est vrai. L'émission "On n'est pas des pigeons" sur la RTBF a comparé les prix de l'alimentation entre les deux pays. La différence va de 15 % à 35 %. Tous ces surcoûts se répercutent sur le dernier maillon de la chaîne, qui est le consommateur. Alors oui, il va payer son menu plus cher qu'en France, mais la différence ne profite en rien au restaurateur.

  • - Souffrez-vous d'une pénurie de main-d'œuvre ?

    - Recruter n'est pas simple. Compte tenu des lourdes charges patronales, les salaires poche sont bas par rapport aux exigences du métier. Le travail dans un restaurant, en cuisine ou en salle, est technique, physique, parfois stressant. Il réclame de la maîtrise, de la rigueur, de la discipline. Les horaires sont atypiques. Je voudrais que chaque jeune qui envisage d'en faire son métier passe quinze jours en immersion pour comprendre la réalité du terrain. Après, c'est un métier passionnant, où une évolution est possible. Nous avons une classification de fonctions, de plongeur à chef de cuisine, avec neuf barèmes salariaux, et des possibilités d'accorder des bonus selon les objectifs et les résultats.

    Réservations non honorées

  • - Faudrait-il faire payer les personnes qui réservent une table et ne viennent pas ?

    - C'est difficile. Des procédures de garantie existent dans les restaurants haut de gamme. Sinon, une table vide dans un restaurant plein, c'est une perte sèche. Et c'est une incivilité de plus en plus fréquente. Même pour le Nouvel An ou la Saint-Valentin, des gens réservent dans deux ou trois établissements différents. Il est possible d'être prudent, surtout pour des grandes tables. Le restaurateur peut demander une confirmation écrite ou un numéro de téléphone, voire privilégier ses clients et refuser des gens qu'il ne connaît pas.

  • - Que pensez-vous des plateformes de cotation comme TripAdvisor ?

    - Ce système a du bon. Il éclaire les clients et permet aux meilleurs d'émerger. Il a aussi un côté pervers car il force la main des restaurateurs. Aucun contrat n'est jamais signé. Aucune page ne peut être supprimée. L'établissement est mentionné par les clients, à l'insu du propriétaire. Pour pouvoir répondre aux commentaires et insérer des photos professionnelles, il faut se manifester et montrer patte blanche. Ensuite, c'est un souci permanent de gérer son e-réputation. Des gens se permettent de descendre en flammes un restaurant pour des raisons absurdes : "ils n'ont pas voulu me servir à 22 heures" , "je n'ai pas eu de verre gratuit", "je n'ai pas pu fumer en terrasse", etc. Moi, je pense que les guides touristiques et culinaires sont bien plus fiables. Ils peuvent se tromper mais ils respectent une éthique.

  • - Que penser de la blackbox ?

    - Il était nécessaire d'éviter la fraude et de combattre la concurrence déloyale. Cette caisse pouvait être un outil de professionnalisation, pour harmoniser les additions, gérer les stocks… Le problème, c'est que cette technologie remonte à 2010 et est dépassée. Sur ces trois dernières années, une boîte sur trois est tombée en panne avec tous les coûts et les problèmes qui s'ensuivent. De plus, il n'y a aucune souplesse dans les souches TVA : impossible de scinder l'addition d'une table ou même de rendre une copie si le client perd le ticket…

  • - Ce n'est pas l'arme absolue contre le noir ?

    - Pas du tout. Si vous ne pointez pas, le noir reste possible. Le vrai garde-fou, c'est le paiement par carte bancaire. La transaction est enregistrée et traçable. Dans les années 70, certains établissements faisaient peut-être la moitié de noir. Aujourd'hui, avec 90 % de règlements électroniques, c'est impensable.

    Airbnb peut être un canal de vente

  • - Comment se porte le secteur hôtelier ?

    - L'hôtellerie "de papa" a vécu. Le client souhaite un bon wifi, du design, du confort, du service. L'exploitant doit viser à la fois les professionnels pendant la semaine et les touristes le week-end, pour garder un taux d'occupation suffisant. Il y a des défis à relever. D'abord un tiers des établissements ne sont pas en conformité avec les normes incendie. Ensuite quinze pays d'Europe ont adhéré à la classification "hotel star union". Sur base de 270 critères, on attribue de une à cinq étoiles avec la subtilité d'un "superior" accolé à ses étoiles.

  • - Les plateformes de réservation sont indispensables ?

    - Comme TripAdvisor, elles s'imposent. Ce qui est primordial, c'est de permettre la réservation en ligne. Depuis le 20 août dernier, nous avons cassé le monopole de booking.com et consorts : nous pouvons proposer en direct des prix moins chers ou équivalents, avec un service en plus. Sachant que les plateformes intermédiaires prennent entre 12 et 15 %, c'est intéressant ! Il faut néanmoins rester visible et utiliser tous les canaux possibles.

  • - Vous craignez Airbnb ?

    - Le concept est sympathique au départ. Il a dérapé et doit donc être mieux réglementé et encadré. Les personnes qui louent un logement doivent respecter des règles de sécurité, d'assurances, d'enregistrement, de transparence. Les loyers perçus doivent être déclarés et soumis au même régime que l'hôtellerie. Quand le marché sera sous contrôle, il y aura tout intérêt à collaborer et à utiliser la plateforme comme canal de vente. Rien ne l'interdit et le taux de commissionnement est inférieur à celui d'autres plateformes.

Il n'y a pas d'argent facile dans l'horeca

Contexte

Horeca, un secteur, une fédération

Le secteur horeca inclut les hôtels, restaurants, cafés, mais aussi les campings et les friteries. Selon les statistiques officielles, en hébergement et restauration, 60.035 entreprises sont assujetties à la TVA, dont 16.864 en Wallonie et 7.376 à Bruxelles.

L'activité dépend largement des Régions et la fédération Horeca s'est donc scindée. La branche wallonne est associée depuis de nombreuses années à UCM. Elle siège directement à la commission paritaire 302, dont dépendent les quelque 120.000 salariés du secteur. Un centre de formation sectoriel existe pour les employeurs. Pour les indépendants sans personnel, Horeca Wallonie joue elle-même le rôle de structure de conseil et d'accompagnement.

Autres interviews de la même catégorie

  • Raymonde Yerna / Didier Mattivi

    administratrice générale de l'IFAPME / directeur de Rise (ULiège) et multi-entrepreneur

    Les mondes universitaire et de l'alternance ont-ils des points communs ? Est-il envisageable de trouver un espace de développement mutuel ? Si, à première vue, la chose ne semble pas aisée, elle se révèle pourtant du domaine du possible.

    Lire la suite