Pierre-Yves Jeholet

Vice-Président wallon et Ministre de l'Economie, de l'Emploi, de la Formation et de l'Industrie
16/01/25

La cinquantaine, le Verviétois Pierre-Yves Jeholet est journaliste et juriste de formation. Sa carrière politique est passée par tous les échelons politiques : conseiller communal, provincial puis député à la Chambre, au Parlement de Wallonie et à la Chambre. Il fut aussi bourgmestre de Herve entre 2012 et 2017, vice-président du Gouvernement wallon, ministre dans l’avant-dernier gouvernement wallon et Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2019. Il vient de reprendre ses fonctions de viceprésident et de ministre de l’économie, de l’industrie, du numérique, de l’emploi et de la formation dans le gouvernement Dolimont.

« L’argent public
qui coule des murs, c’est fini »

Il a un certain franc-parler et l’une de ses bonnes résolutions de 2025, c’est un programme d’amincissement drastique des opérateurs publics. Jamais avare d’une bonne formule, Pierre-Yves Jeholet détaille quelques-uns de ses prochains chantiers.

Isabelle Morgante 

  • Pierre-Yves Jeholet, un point d’abord sur les accès à la profession et les compétences de gestion. Quelques difficultés apparaissent en Flandre, ces mauvaises expériences pourraient-elles nous permette d’éviter de commettre des erreurs ?

    Rendre obligatoire la gestion ne va pas diminuer le nombre de faillites. C’est pour moi une bonne chose de supprimer l'obligation mais il faut garder les cycles de formations.

  • Dans le cursus d’apprentissage ?

    À un moment donné et pas obligatoirement dans le cursus. Nous avons pas mal d’opérateurs différents qui peuvent former. Il y a aussi débat autour de l'accès à la profession. J’entends les remontées de terrain des fédérations, et ces retours confirment ma volonté d’en parler rapidement mais moi, de mon côté, je n’écarte pas l’éventualité d’une suppression d’accès aux professions. Donc, avant tout, parlons et avançons !

  • Avez-vous un calendrier ?

    Du tout. Je veux d’abord être à l’écoute. Ma volonté est de réformer mais il faut que le monde de l’entreprise y adhère.

  • Il est temps d’alléger les épaules des entrepreneurs, non ?

    C’est le leitmotiv numéro un. Il faut laisser les travailleurs indépendants faire leur métier. Les charges et les contraintes sont beaucoup trop fortes, la volonté du gouvernement est véritablement de les rendre plus vivables. La Commission européenne s’engage à supprimer 25 % de contraintes administratives, notamment pour les plus petites structures qui sont les plus impactées. Au niveau wallon, l’objectif est clairement la simplification administrative. Une note d'orientation très forte a été adoptée, il y aura une feuille de route de quelques « quick wins » puis des réformes et des changements de décrets qui, eux, demanderont un peu de temps.

  • Un exemple de chantier en cours ?

    Nous connaissons des avancées significatives en matière de DPR, avec un principe de confiance. Les administrations, quand il s’agit d’usage d’argent public, doivent pouvoir contrôler et conseiller. Mais nous ne devons pas être plus catholiques que le pape en nous mettant davantage de contraintes, qui sont déjà importantes.

  • En parlant de simplification, n’y a-t -il pas un travail de refonte du nombre des opérateurs publics à effectuer ?

    Oui, car dans pas mal de domaines, nos écosystèmes sont beaucoup trop complexes, nombreux, pas toujours efficients et même redondants, avec des effets d’aubaine. Quand il s’agit d’argent public, grâce auquel fonctionnent les opérateurs, on doit pouvoir, à un moment donné, mesurer les résultats et avoir des impacts. La formation et l'emploi, c'est trois milliards d'euros par an à la Région wallonne. Or, les résultats obtenus, au regard des moyens publics investis, ne sont pas à la hauteur. La Wallonie compte 244.000 chercheurs d’emploi et à côté, de plus en plus de métiers sont en pénurie de main-d'oeuvre ! Ça ne tourne pas rond. L’enjeu est d’augmenter les compétences des demandeurs d’emploi, de les former pour les remettre sur le marché du travail.

  • Où se situe le maillon faible de la chaîne ?

    Je pense que nous devons valoriser nos systèmes d'éducation et d'enseignement. Si on augmente la qualité de notre enseignement, le nombre de personnes non formées arrivant sur le marché de l’emploi va diminuer. Les deux gouvernements, des Fédération Wallonie-Bruxelles et Région wallonne, ont voté une note ambitieuse sur l'enseignement qualifiant, la formation professionnelle et l'alternance.

  • L’une des demandes d’UCM, c’est d’intégrer l’entrepreneuriat dans le cursus des jeunes, pour que l’enseignement en comprenne les demandes. C’est réalisable selon vous ?

    Le monde de l'entreprise n'est pas suffisamment présent à l'école et il faut que certains enseignants arrêtent de croire qu’il n’y a que l’école pour former les jeunes. C’est faux. Nous voulons mettre en place une formation en alternance qui n'est pas qu’un slogan. C’est un mode d'apprentissage où le temps de formation en entreprise est primordial.

  • Les entreprises sont demandeuses, selon vous ?

    Oui, elles veulent former les jeunes, même si ça demande et du temps et un investissement financier. Les tuteurs sont là pour former mais actuellement, le modèle est très figé. Or, l'alternance ne doit pas être opposée à l’école dite « traditionnelle ». Nous avons intérêt à organiser un maximum de synergies, de collaborations pour aider beaucoup de jeunes. Le pire scénario serait que les jeunes soient blasés de tout car 23 % des 244.000 chercheurs ont moins de 30 ans. C’est un vrai problème sociétal.

  • Aujourd’hui, vous allez faire tomber les barrières contraignantes ?

    Chacun des opérateurs de formation veut garder son pré carré mais c’est hors de question ! À un moment donné, il faut faire table rase et se dire que l’enfant doit avoir la possibilité d’apprendre – et c’est essentiel – le français et les maths, mais il doit aussi être capable de travailler sur des outils numériques et d’être présent en entreprise. La clé de réussite, c’est des gens qualifiés et formés qui répondront aux besoins de l'entreprise. Une première réponse à la pénurie a été trouvée dans le champ d’action élargi des flexi-jobs mais ça ne va pas régler la pénurie de main-d'oeuvre.

  • Ne faut-il pas aussi se dire que les jeunes n’ont plus la même relation au travail ?

    Elle a complètement changé, il faut l'accepter et la comprendre mais le travail reste quand même une valeur fondamentale dans notre société. Travail n’est pas un gros mot, il permet l'émancipation de la personne. Sans être émancipé, on ne contribue pas à la réussite de la collectivité. Et surtout, arrêtons d'opposer les employeurs aux travailleurs. Je rappelle que l’objectif est d’atteindre un taux d’emploi de 80 % en Belgique, en Wallonie et à Bruxelles
    en particulier. À la lecture des chiffres des chômeurs ou des malades longue durée, le déséquilibre devient invivable, notamment pour les finances publiques et ceux qui créent l'activité. Les entreprises sont les créatrices de richesse, c’est le moteur économique de la Wallonie et de l'Europe. Je me dois donc d’être derrière nos entreprises, en les encourageant parce qu’elles vivent aujourd'hui des moments difficiles.

  • Les pouvoirs publics pourraient- ils accompagner les entrepreneurs dans leur mission de formation de jeunes en entreprise, notamment via des aides financières ?

    Il faut d’abord relever le niveau de compétences et de qualification, pendant la formation. L’identification des opérateurs est utile, en relation avec le monde de l’entreprise. Nous allons donc procéder à une évaluation de tous les dispositifs, en insistant sur le fait que l’argent ne coule pas des murs. Je rappelle aussi, que lorsqu’on parle de gratuité des cantines, des bus, des trains et des crèches qui sont des idées des partis de gauche… il y a toujours quelqu'un qui paye. C'est l'argent, entre autres, des gens qui travaillent, des impôts et des entreprises. Je veux que tout euro public soit bien dépensé. Et  aujourd'hui, ça n'est pas le cas. Quand un indépendant qui travaille seul doit faire face à des charges administratives et financières importantes, sans compter le temps investi, pour former un jeune… qui finit par abandonner ou passe son temps sur son téléphone, je comprends qu’il soit démotivé. On ne joue pas comme ça avec les nerfs des indépendants !

Je rappelle aussi, que lorsqu’on parle de gratuité des cantines, des bus, des trains et des crèches qui sont des idées des partis de gauche… il y a toujours quelqu'un qui paye. C'est l'argent, entre autres, des gens qui travaillent, des impôts et des entreprises
  • Alors, que devient-il le jeune qui abandonne ou joue sur son téléphone ?

    Aujourd’hui, il va repartir vers un opérateur qui va s'occuper de sa situation. Notre écosystème de formation, c’est le Forem, l'IFAPME, mais aussi 156 centres d'insertion socioprofessionnelle, des agences locales pour l'emploi, des carrefours métiers, des cités métiers et des maisons de l'emploi. C’est gigantesque ! C’est quasi du clientélisme social. On va dans un centre, puis un autre, puis on revient au Forem, on fait une formation, on l'arrête après trois semaines parce qu'on n'aime pas… À un moment donné, tout ça coûte très cher à la collectivité. C’est pourquoi nous devons être plus contraignants, avec des sanctions et des suivis beaucoup plus cadrés et limités dans le temps.

  • Un exemple de sanction ?

    La limitation des allocations de chômage dans le temps est indispensable. La Belgique est encore le seul pays à maintenir une allocation illimitée dans le temps mais notre objectif est que plus personne n'atteigne deux ans d’allocations. Parce que finalement, on s'est installé dans un système parfois de rente ou de droit.

  • Pour vous, à partir de quel âge le jeune doit-il être sensibilisé aux possibilités qu’offre le monde de l’entreprise ? 12 ans ?

    Non, on ne revient pas sur le tronc commun, il fournit les bases. L’école doit jouer son rôle mais il faut, peu importe les filières, organiser l’intégration d’expériences en entreprise plus tôt, sous la responsabilité des écoles. Si on veut multiplier le nombre de stages demain, il faudra aussi des incitants et pas que financiers. Les stages, c’est un élément clé de la réussite du système.

  • J’aimerais vous entendre sur l’image de la Wallonie à l’étranger et celle qu’elle donne à de potentiels investisseurs ?

    Pour le moment, l'investisseur étranger qui ne connaît pas la Wallonie doit se poser de sérieuses questions ! Or, s’il y a de gros investissements, cela profite aussi aux sous-traitants, souvent des PME. Quand un investisseur industriel, avec une capacité de production, veut engager 300 personnes, ça rejaillit sur l'ensemble de l'économie wallonne. Il doit y voir clair et être accompagné, notamment au travers du « fast track » qui doit devenir le facilitateur de toutes les entreprises, pour réduire les délais au maximum. Et s’il s’agit de gros dossiers d'investissements, les administrations wallonnes doivent être capables de se mettre autour de la table et de travailler ensemble, s’engager pour que l’entrepreneur investisse en connaissance de cause.

  • Alors, quid des possibilités qu’offre l’export à nos PME ?

    L’agence fédérale du commerce extérieur a un rôle de cohésion et reste nécessaire. L’AWEX, de son côté, doit conscientiser nos entreprises et PME à l’internationalisation, facteur de croissance.

  • Le gouvernement wallon n’a-t-il pas un rôle à jouer dans le fait de convaincre les PME d’exporter ?

    Je vais déposer une stratégie dans le courant de ce premier trimestre. Sans réinventer l'eau chaude car il y a des choses qui se déroulent bien, mais nous n’atteignons pas encore les objectifs. Il faut soutenir les petites structures, être à leurs côtés, et mettre en place un accompagnement spécifique à la croissance. Rien n'est impossible et pas de tabou. C’est dans cette optique que le conseil d’administration de l’AWEX va être renouvelé. Je le veux beaucoup plus « challengeant ». Il y a aura quatre représentants des entreprises, deux de PME et deux de grandes entreprises. Et sans syndicats dont je ne vois pas la plus-value. Le CA passera de 16 à 12 administrateurs, leur devoir sera de faire régulièrement le point sur les réformes mises en place et sur les dispositifs avec indicateurs de résultats et d’impacts. Le pouvoir du CA sera aussi de corriger, si besoin, les éléments de stratégie. Un conseil d'administration n’est pas un « béni-oui-oui » de la direction ou de quelque structure que ce soit. Les administrateurs doivent prendre conscience du véritable rôle qu'ils ont.

L’un des problèmes des commerçants, c'est l'accessibilité et la mobilité, limitée par les travaux ponctuels. C’est le rôle d’une région d’aider dans ce type de dossier.
  • Je voudrais faire aussi un point sur la revitalisation des friches industrielles, notamment dans le bassin liégeois, et du rôle que l’on réserve aux PME ou de celui qu’elles peuvent prétendre jouer ?

    On a 280 hectares de friches industrielles qui sont en cours d'assainissement. Sans compter les terrains mobilisables autour de l'aéroport de Liège, le but étant de valoriser ces sites pour de l'activité économique. Pour moi, ça serait une erreur d’en faire des jardins, du commerce, des logements... Ces sites doivent être dédiés à l’activité économique, voire industrielle si on peut encore le faire, en sortant des sites spécialisés à des secteurs précis. La spécialisation est parfois nécessaire, mais il faut que tout le monde puisse s'y retrouver, quelles que soient la taille et la nature de l’entreprise.

  • Un dernier point, qui concerne cette fois-ci le commerce dit de proximité, qui ne vit pas ses meilleures années.

    L’un des rôles de Wallonie Entreprendre est d’analyser les besoins des commerçants et de les accompagner. L’attractivité des villes est un problème complexe. Et là aussi, il y a un travail d’évaluation des dispositifs existants. Si on en supprime certains, on peut en amplifier d’autres. L’un des problèmes des commerçants, c'est l'accessibilité et la mobilité, limitée par les travaux ponctuels. C’est le rôle d’une région d’aider dans ce type de dossier. En Wallonie, il y a toujours un bon projet, un bon opérateur, un bon agenda pour avoir de l'argent public. Et on saupoudre et on arrose en se disant qu’en arrosant, l'herbe va pousser et être super verte. C’est faux. Il faut que ça fasse « tilt » dans nos têtes : l'argent public gratuit, c'est fini.

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