Bien-être au travail: une nouvelle mission de sensibilisation

Les caisses d'assurances sociales du pays ont désormais pour mission de sensibiliser les indépendants à l’importance de leur bien-être au travail. Pionnière de la question côté francophone, UCM a décidé de prendre la problématique à bras le corps.

La bonne marche de la petite en­treprise ne tient souvent qu’à un fil, celui de la santé de son diri­geant". Cette citation est du pro­fesseur Olivier Torrès, chercheur à l’Université de Montpellier et spécialiste des questions de santé des PME et TPE, tant au niveau de l’entreprise elle-même qu’à celle de ses res­ponsables. C'est que, selon le professeur Tor­rès, l'un ne va pas sans l'autre. Partant dans ce constat, UCM a répondu en 2022 à un appel à projets lancé par le SPF Sécurité sociale et le ministre des Indépendants et des PME, Da­vid Clarinval (MR). Le but de la démarche ? Tester des mesures concrètes que les caisses d’assurances sociales (CAS) pourraient propo­ser en faveur du bien-être des indépendants. En quelques mois, le projet Icarius était né. "L'idée a vu le jour après la crise du Covid qui a révélé les difficultés des indépendants au sujet de leur santé mentale. Ceux qui ont été confinés se sont vu retirer la maîtrise de leur activité à cause de l'épidémie, ce qui a été très dur à vivre, même si c’était temporaire. On était déjà en Belgique dans un climat où la problématique de la santé mentale gagnait de l'importance dans toutes les couches de la société. Voilà pourquoi c'est devenu un enjeu politique, d'abord en Flandre qui a quelques années d'avance, et puis sur l'ensemble du ter­ritoire", contextualise Renaud Francart, por­teur du projet Icarius pour UCM.

Besoin d'accompagnement spécifique

La prévention a pris de nombreuses formes : interventions en télé ou radio, site internet, application, newsletter, autoévaluation, ate­liers, conférences, rencontres en groupe ou individuelles… Une trentaine d'indépendants ont par ailleurs suivi un accompagnement multidisciplinaire dans le cadre du pro­gramme "SenseCare" du Groupe Cesi (méde­cine du travail), notre partenaire. Plus d'un an plus tard, si Icarius a tiré sa révérence, les enseignements de l’expérience sont, eux, tou­jours bien présents. Les résultats ont confirmé ce que le professeur Torrès affirme depuis plusieurs années : les indépendants ont be­soin d'accompagnements spécifiques quand on traite de leur bien-être, tant leur santé et la performance de leur entreprise sont liées. "L'expérience a très vite montré qu'il fallait un angle d'accroche positif. Parler du burn-out à des indépendants, cela ne fonctionne pas. Mais on a bien vu que, pour un indépendant, prendre soin de son bien-être, c'est se donner encore plus les moyens de réussir son projet entrepreneurial. Un des enseignements de notre approche est que, non seulement nous avons suscité de l'intérêt pour cette théma­tique parfois jugée rébarbative, mais en plus les participants ont exprimé une réelle satis­faction d'avoir fait le pas pour être conseillés", pointe François Sepulchre, directeur opéra­tionnel de la caisse d'assurances sociales.

Sensibiliser, informer et orienter

Le bien-être au travail est gage de fidélisation et de performance.

Preuve de l'importance de la démarche, le gouvernement fédéral a débloqué quatre millions d'euros pour initier une réelle poli­tique pour le bien-être des indépendants. Cette enveloppe est destinée aux diffé­rentes caisses d'assurances sociales du pays qui devront, à partir du 1er avril, assurer une mission de référent sur la thématique. "Il y a vraiment trois services principaux", explique Elodie Housiaux, chargée du projet chez UCM. "D'abord la promotion/sensibilisation au bien-être au sens large via des webinaires, des événements, des communications sur nos différents canaux… Vient ensuite un vo­let d'orientation vers une aide ou un soutien adapté. C'est notre capacité à rediriger l’en­trepreneur en difficulté vers la ou les solu­tions les plus adaptées à sa situation. Cela va de l’information de base comme la prise en charge des consultations psys par la mutuelle à la redirection vers un accompagnement individuel multidisciplinaire ou un atelier de sensibilisation que nous allons mettre en place. Le troisième et dernier volet principal est bien entendu la formation du personnel pour endosser ce rôle de référent", complète-t-elle.

Tout le personnel de la CAS va ainsi être formé pour avoir une vision globale de cette problématique cruciale pour les entrepre­neurs. UCM a cependant décidé d'aller plus loin en créant une cellule spécifique destinée à l'écoute des indépendants lorsqu’ils ont des interrogations concernant leur santé et leur bien-être. Composée de conseillers de la caisse d'assurances sociales particulièrement sensibles à ces aspects, cette "team bien-être" sera formée pour capter les signaux de détresse des indépendants, et pour les orien­ter en fonction de leurs besoins propres. Si nécessaire, cette équipe pourra passer le re­lais à un groupe de psychologues professionnels actifs chez notre partenaire OneVitality (Groupe Cesi). Il y aura un numéro d’appel propre pour cette "team bien-être" pour que chaque entrepreneur puisse la contacter s'il a la moindre question sur son bien-être. Cela peut concerner des interrogations sur son sommeil, la gestion du stress ou de son temps par exemple.

UCM se réjouit que cette mission ait été implémentée avant la fin de la législature en cours. "On est en train de créer un contexte où le bien-être des indépendants et les risques d’épuisement deviennent un sujet normal de discussion. On a mis en place un nouveau volet dans la sécurité sociale des indépendants. On a identifié un référent qui est la caisse d'assurances sociales et autour de laquelle on va imaginer des services qui seront de plus en plus performants", se féli­cite Renaud Francart.­

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"Un dialogue entre des sourds et des muets, ça ne peut produire qu'une zone aveugle"

Dans le cadre de sa nouvelle mission, UCM va collaborer avec le professeur Torrès, spécialiste de renommée
internationale de la santé physique et mentale des entrepreneurs. Entretien.

 

Le professeur Olivier Torrès (Université de Montpellier) a su captiver l'assemblée.

Vous dites souvent que la santé de l'entrepreneur est le premier capital immatériel de son entre­prise, pourquoi ?

Quand Steve Jobs, qui a fondé Apple, est mort en 2011, l'action d'Apple a perdu moins de 1 %. Quand Edouard Michelin est mort noyé en 2006, l'action Michelin a perdu moins de 1 %. Quand Christophe de Margerie, CEO de Total, est mort à Moscou, à minuit, d'un accident d'avion, il était rem­placé 48 heures plus tard. Ces exemples ont tous un point commun : ce sont de grandes entreprises. Et ces grandes entreprises sont "too big to fail" comme disent les Américains. Quand un dirigeant d'une PME, qui repré­sente 99 % du tissu économique, se tue dans un accident de voiture, l'entreprise risque de déposer le bilan. C'est pour ça que je dis que la santé du dirigeant est le premier capital immatériel de la PME/TPE. Ce qui n'est pas vrai pour les grands groupes.

Pourquoi a-t-on tant étudié les questions de bien-être chez les salariés et pas chez les indépen­dants ?

L'histoire de la santé au travail est construite sur le modèle des grands groupes et des ouvriers. En France, en 1830, on a un médecin qui s'appelle Louis Villermé, qui va dénoncer les conditions de travail des ouvriers. C'est à partir de là qu'il va y avoir les premières lois en France sur le travail des femmes, des enfants… Les experts se sont donc surtout intéressés à la santé des sala­riés. D'un autre côté, les entrepreneurs sont un peu muets quant à leur situation. Ils vont dire qu'ils n'ont pas le temps d'être malades. Ou pire, qu'ils n'ont pas le droit d'être ma­lades ! On a donc des experts en santé au travail qui sont sourds aux questions de santé des entrepreneurs et des entrepreneurs qui sont muets par rapport à leur propre santé. Et je dis toujours qu'un dialogue entre des sourds et des muets, ça ne peut produire qu'une zone aveugle.

Personnellement, pourquoi avez-vous choisi d'étudier ce thème ?

Parce que je suis un "PMiste". C'est un terme que j'ai inventé car je suis un écono­miste de la PME. Et j'ai constaté que, dans ma profession, mes collègues ne parlent jamais de PME. J'attire votre attention sur les mots qu'utilisent mes collègues écono­mistes. Ils parlent de fordisme, de toyo­tisme, d'ubérisation, de GAFA… Ce ne sont que des géants, pas des PME. Chez les économistes, ce sont les noms des grandes entreprises qui font système car ils ne re­gardent que les géants. Ils sont sous l'em­prise de ce que j'appelle un effet Gulliver, c'est-à-dire un biais de représentation du monde à partir des géants. Ce biais cognitif est également prégnant dans les médias et le monde politique.

Vous avez récemment donné une conférence pour l'OCDE devant une vingtaine de ministres de PME du monde entier. Sont-ils conscients de ce problème ?

On m'a donné vingt minutes pour aborder la problématique, j'ai finalement pris la parole pen­dant une heure. Ce n'était pas par impolitesse car j'avais prévu de parler 20 minutes. Mais à la fin de ma conférence, notre ministre française chargée des PME, Olivia Grégoire, m'a posé deux ques­tions. Elle a ensuite tendu le micro à ses homolo­gues et tous les ministres m'ont posé des questions. Et j'ai bien vu, par rapport aux questions qu'ils me posaient, que cette thématique de la santé n'était pas dans leur schéma mental.

Que pensez-vous de la nouvelle mission des caisses d'assurances sociales ?

Je dis bravo à votre ministre des PME David Clarinval, bravo à la Belgique et bravo à la caisse d'assurances sociales d'UCM. Car ce que je dis dans mes conférences, c'est que, mauvaise nou­velle, il y a un risque d'épuisement qui est plus fort chez les entrepreneurs que chez les salariés. Mais bonne nouvelle, c'est très facile de préve­nir cela. Et ce n'est pas très coûteux. En France, les employeurs dépensent entre 80 et 100 euros par salarié et par an pour la santé au travail. Ici, il y a moyen de mettre des dispositifs en place pour bien moins cher. Les indépendants ont des éléments pathogènes qui leur sont propres, mais aussi des éléments "salutogènes" ! Où que j'aille, j'insiste sur la "salutogénèse" et pas sur le pathos (la souffrance, ndlr). Sinon, on va finir par faire peur aux jeunes en leur faisant croire qu'entreprendre, c'est s'exposer d'office à de l'épuisement. Ce n'est pas vrai ! Entreprendre est bon pour la santé, même si ça peut être épuisant. Les deux ne sont pas antinomiques. Il faut traiter cet épuisement, c'est tout.

 

Le bien-être, un enjeu pour les élections

Le bien-être fait partie des thématiques abordées dans notre mémorandum à des­tination des politiques en vue des diffé­rentes élections qui nous attendent dans les mois à venir. UCM constate que les indépendants font face à de nombreuses contraintes. 56 % d'entre eux travaillent ainsi plus de 50 heures par semaine alors que plus d'un patron sur deux déclare avoir des journées avec un niveau de stress "élevé".

Autant de facteurs (parmi d’autres) de risque d’épuisement et de burn-out, mais qui sont compensés par la chance d’avoir la maîtrise de son destin, par les réussites, les nouveaux contrats… Face au constat que les équilibres sont fragiles et que des indépendants peuvent tomber de haut et très bas, UCM appelle les responsables politiques à créer une nouvelle couver­ture financière "soutien au bien-être" dans la sécurité sociale des indépendants. Ce système prendrait en charge une partie des frais engagés par le chef d'entreprise pour sa participation à des ateliers ou pour un parcours d’accompagnement. Il est également nécessaire d’évaluer comment la nouvelle mission des caisses d’assurances permet de limiter les risques de burn-out et comment elle peut encore être enrichie, en collaboration avec des organisations spécialisées dans le secteur.

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