Elio Di Rupo

Président du Parti socialiste
15/01/18

Fils de l'immigration, issu d'un milieu modeste, Elio Di Rupo (66 ans) a été élu conseiller communal à Mons en 1982 et député en 1987. Il a tout connu en politique. Bourgmestre de Mons depuis 2000, il a été ministre de l'Éducation en Communauté française, ministre fédéral, ministre-président wallon, Premier ministre (2011-2014). Il a dirigé le PS de 1999 à 2011 et en est redevenu président en 2014, avec un mandat jusqu'aux élections de mai 2019.

"Les demandes de l'UCM pour améliorer la protection sociale des indépendants sont intégrables dans notre programme."

Oui, le PS SOUTIENT
l'initiative privée

Le PS a pris 170 engagements "pour un futur idéal". Les indépendants et les PME ont leur place dans le rêve socialiste. Le parti veut encadrer l'économie pour donner aux "petits entrepreneurs" les mêmes chances qu'aux grosses sociétés.

Thierry Evens

  • Le manifeste du parti socialiste, adopté en novembre dernier et dont s'inspirent les 170 engagements, est un tournant idéologique ?

    Par rapport à la charte de Quaregnon de 1894 (document fondateur du parti, NDLR), nous avons fait un pas de géant. Nous restons attachés à la solidarité et au collectif, mais avec une évolution significative en ce qui concerne les indépendants et les PME.

    Nous voulons encourager l'initiative individuelle, développer la culture d'entreprendre...

  • En ce qui vous concerne, ce n'est pas neuf. Dans le "contrat d'avenir pour la Wallonie" de 1999, comme ministre-président, vous misiez déjà sur les indépendants et les PME...

    C'est exact. C'est gentil de le rappeler. C'était déjà ma conviction et j'ai pu engager le gouvernement wallon dans ce qui est devenu le plan Marshall.

    À présent, la valorisation de l'initiative personnelle est devenue la doctrine du parti, approuvée par 99 % des votants. Je l'ai fait graver dans le marbre. Ce n'est pas si mal. Autant que je le dise moi-même...

  • Le PS va donc s'engager pour améliorer la protection sociale des indépendants ?

    Les demandes de l'UCM en la matière sont totalement intégrables dans notre futur programme électoral. Je pense en particulier à l'assurance maladie, qui doit intervenir dès le premier jour d'incapacité de travail.

    Je pense aussi à l'allocation de remplacement. Pour les sous-traitants victimes de la fermeture d'une grande entreprise ou pour un garagiste victime d'une inondation par exemple, il faut une aide qui leur permette de traverser ces moments difficiles.

  • Une sorte d'allocation de chômage ?

    Oui, mais la première chose à faire est de diminuer le taux d'échec parce que devoir cesser son activité est toujours pénible. Pour cela, il faut promouvoir l'accompagnement.

    Les indépendants qui se lancent sans aucune assistance courent beaucoup plus de risques que les autres.

  • Un accompagnement obligatoire ?

    Les créateurs d'entreprise n'aiment pas être corsetés. Il ne faut pas heurter leur esprit de liberté, mais mettre à leur disposition les outils nécessaires et bien les informer.

    Jean-Claude Marcourt (ministre wallon de l'Économie sortant, NDLR) a bien avancé pour mettre un encadrement à la disposition des starters. Un guichet unique est sans doute la solution la plus efficace.

  • Pour améliorer la protection sociale, voulez-vous augmenter les cotisations ?

    Ah, vous me posez la question du déplafonnement ! Au-delà de 84.600 euros environ, il n'y a plus aucun prélèvement. Je pense qu'il faut revoir cette règle, mais progressivement et de façon raisonnable.

    C'est une question en partie communautaire. Les revenus sont plus élevés en Flandre. Dans la sécurité sociale des salariés, on constate une solidarité très importante avec la Wallonie, de l'ordre de six milliards d'euros par an. Chez les indépendants, le transfert est beaucoup plus modeste.

  • Si on revoit le plafond des cotisations, ne faut-il pas aussi adapter les montants de pension aux sommes versées ?

    Bien entendu. Les pensions des indépendants sont trop basses aujourd'hui. Je comprends que des gens qui ont travaillé toute leur vie soient choqués du faible montant qu'ils reçoivent. En réalité, ma conviction est que nous allons vers un statut unique entre indépendants et salariés. Les carrières ne sont plus linéaires et nous devons favoriser cette évolution, aider les gens à passer d'une forme d'activité à une autre, sans aucune rupture dans leur protection sociale.

     

Réguler le marché

  • Dans les 170 propositions, j'ai noté la volonté de donner aux indépendants et PME un accès aux outils de développement...

    En effet. J'ai déjà parlé de l'aide aux starters. Le PS veut aussi mettre l'innovation et la recherche-développement à la portée des plus petites entreprises, quel que soit leur secteur. C'était une priorité du plan Marshall et ça marche.

    La Wallonie compte beaucoup de start-up très dynamiques, des petites structures qui s'imposent dans des créneaux technologiques. Il faut aller plus loin. L'innovation est partout : être plus efficace, réduire ses coûts, cela concerne toutes les entreprises.

  • Cela demande aussi une implication du chef de PME...

    C'est vrai. Je sais que les indépendants ont souvent le nez dans le guidon. C'est pour ça qu'il faut mettre à leur disposition un encadrement accessible, via un guichet unique, où ils peuvent puiser ce dont ils ont besoin.

  • Vous voulez aussi améliorer leur accès aux marchés publics ?

    Bien entendu. Je trouve insupportable – excusez le terme fort – que les grandes sociétés emportent les plus gros marchés en Europe, puis les sous-traitent à des PME dans une relation dominant-dominé. C'est criant dans la construction, mais dans bien d'autres secteurs aussi. Regardez Ernst & Young par exemple.

    La société décroche des contrats dans tous les pays, puis ce sont des comptables et des réviseurs d'entreprises locaux qui font le travail. Je préférerais qu'on les rémunère directement, sans intermédiaire.

Un impôt plus juste

  • Estimez-vous qu'on paie trop d'impôts et de charges en Belgique ?

    L'impôt sert au bien commun. Il paie les écoles, les routes et en partie les hôpitaux, l'accès aux soins de santé, etc. Une société qui vit dans l'harmonie a besoin de bien commun. C'est une hypocrisie sans nom de dire que sans impôts, ça irait mieux. Seuls ceux qui ont des moyens financiers pourraient fréquenter de bonnes écoles, aller dans de bons hôpitaux.

    Ce n'est pas la société que nous avons construite dans notre pays et en Europe. Beaucoup regardent avec envie le modèle scandinave. Au Danemark, en Suède, voire en Finlande, la fiscalité est très lourde, mais le mode de vie est extrêmement relax.

  • Vous voulez un impôt plus juste. Qu'est-ce que ça signifie ?

    D'abord que les toutes grandes entreprises, qui réalisent des super profits, doivent payer leur contribution. La situation actuelle est choquante. Ensuite, que les revenus du capital soient taxés comme ceux du travail.

    Est-ce que l'argent gagné via ses investissements doit être vraiment moins taxé que l'argent gagné à la sueur de son front ? Nous ne voulons pas de coup de massue fiscal mais un système qui globalise les revenus.

  • Y compris les revenus immobiliers ?

    Très clairement, nous avons décidé une exception pour les revenus locatifs des deuxième et troisième logements. C'est un choix d'épargne pour assurer ses vieux jours.

    Tout autre chose est l'activité du promoteur qui loue dix ou cinquante appartements. C'est un métier et l'argent que rapporte ce métier doit être imposé normalement.

Travailler trente heures par semaine ?

  • Vous avez adopté le principe de la semaine de trente heures. Pour les PME...

    ... c'est difficile, je sais. Notre cible, ce sont les grosses entreprises. Il faut au moins cinquante personnes, voire davantage, pour pouvoir réorganiser le travail et embaucher pour compenser.

    Une entreprise de deux ou trois personnes n'est pas concernée.

  • Elle resterait à 38 heures ?

    Mon raisonnement est le suivant. Dans notre pays, la semaine de travail a compté 60 heures, puis 48, puis 40, puis 38. À chaque fois, le patronat a annoncé la fin du monde. Il n'y a pas eu de drame.

    Ce qui s'est passé, c'est simplement une meilleure répartition des bénéfices. Aujourd'hui, des bénéfices, il y en a beaucoup. Alors oui, je crois qu'à l'horizon de dix ou vingt ans, nous aurons une réduction du temps de travail.

  • Ne pensez-vous pas qu'au contraire, beaucoup de gens sont prêts à travailler davantage ?

    Je sais que les indépendants et les indépendantes, comme les hommes et les femmes politiques, travaillent plutôt 70 heures par semaine que 38. Mais je vois aussi que beaucoup de jeunes, entre vingt et vingt-cinq ans, sont très attentifs à leur qualité de vie et à un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

    Encore une fois, je ne veux pas imposer un concept à coups de gourdin, façon communiste. C'est une évolution dans laquelle certains sont déjà engagés : Volkswagen, Toyota, la Sonaca en Wallonie. Tenez, l'autre jour, j'étais chez le coiffeur. Je vois sa toiture en réparation, mais pas d'ouvriers. Il m'a expliqué que la petite entreprise qui faisait le travail était à l'arrêt le vendredi. Ils se sont organisés pour ça. Pourquoi pas ?

     

  • Réduire le temps de travail risque d'accroître le problème des pénuries de main-d'œuvre...

    Pour moi, il n'est pas acceptable que tant d'emplois ne trouvent pas preneurs. C'est un problème auquel il faut s'attaquer résolument, mais ça prendra du temps.

    C'est dès l'école primaire que nous devons pousser les mathématiques, le raisonnement logique, car la plupart des métiers en pénurie réclament un savoir-faire technique ou artisanal. Le problème, c'est notre société en tranches de salami. Il y a un immense travail à faire, en synergie, pour l'enseignement, la formation, l'orientation, l'insertion...

Le rôle des syndicats

  • Dans les propositions du PS figure la codécision dans les entreprises...

    C'est bien sûr une provocation de ma part. Contrairement au PTB, je ne dis jamais qu'il faut abattre les patrons. On en a besoin. C'est sur base de travaux scientifiques de l'UCL que nous avons parlé de codécision.

    Dans les grandes entreprises, est-il vraiment mieux de laisser toutes les décisions stratégiques aux actionnaires, sans impliquer les employés et les ouvriers ? Un dialogue constructif n'est-il pas possible ? Ceux qui travaillent ne sont pas des imbéciles. Ils peuvent comprendre les enjeux et ils seront d'autant plus enthousiastes qu'ils sont associés aux décisions.

  • Pour les PME, voulez-vous abaisser le seuil de représentation syndicale ?

    C'est une revendication historique des syndicats et un objectif à terme pour nous. Une phase transitoire pourrait être la création de délégués de zones ou de secteurs avec lesquels les employeurs pourraient discuter, expliquer.

    Quand les relations entre le patronat et les syndicats sont optimales, le climat de travail est meilleur.

     

CONTEXTE

PS

À l'exception de 2007, le PS est le parti le plus important en voix au sud du pays, depuis la guerre. Il a été sans interruption au(x) gouvernement(s) de 1988 à 2014. Écarté au fédéral, le PS a aussi été éjecté à la Région wallonne en juin 2017.

Le PS a récolté 32 % des voix en Wallonie en 2014. Il n'est plus crédité que d'un peu plus de 20 % dans les sondages.

"C'est une hypocrisie sans nom de dire que sans impôts, ça irait mieux. Les pays scandinaves ont une fiscalité très lourde et un mode de vie extrêmement relax."

Congrès du parti le 26 novembre à Liège. © janssensxav@gmail.com

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    Avocat associé cabinet DBB

    Pierre Demolin est "la" référence en droit de la franchise. L'avocat défend les intérêts de franchisés de chaînes et (parfois) bataille ferme. Il porte un regard expert sur le dossier Delhaize, les syndicats et leur communication, avant de délivrer quelques conseils aux candidats franchisés.

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