Jean-Pierre Di Bartolomeo

Président du conseil d'administration de la Sowalfin
14/06/22

Diplômé en économie et finances de l'Université de Liège (Finance), titulaire d'une maîtrise en financement des PME de la Durham University (Royaume-Uni), Jean-Pierre Di Bartolomeo a travaillé pour de grands groupes de consultance (Deloitte, PWC) et dans la gestion de holdings à la Société européenne de banque. Dès le début des années 2000, il œuvre pour le gouvernement wallon. Il montre son expertise dans les solutions de financement des PME et prend la tête de la Société wallonne de financement dès 2005.

Étiqueté socialiste, il n'est guère contesté. Chaleureux dans ses relations humaines, il est pragmatique dans son action et déterminé dans sa gestion du personnel et des partenariats.

Les valeurs qui animent les entrepreneurs sont belles !

Autonomie, confiance en soi, travail en équipe, responsabilité : inculquons ces valeurs aux jeunes. Tous en profiteront et nous aurons davantage d'entrepreneurs. C'est le credo du patron de la Société publique wallonne de financement.

Thierry Evens

Les entrepreneurs sont courageux et fiables. Respect !
  • - La Sowalfin a vingt ans. Quelle est sa mission de base ?

    - Elle a été créée pour donner, à un endroit unique, une solution à tous les besoins de financement des PME et des indépendants en Wallonie, quelle que soit leur activité. Aujourd'hui, nous finançons à peu près 4.000 entrepreneurs chaque année, pour plus de 600 millions d'euros. Cela fait 150.000 euros par dossier mais quelques grosses PME, qui ont parfois besoin de deux ou trois millions, tirent la moyenne vers le haut. La médiane est à 50.000 euros. La moitié des demandes sont supérieures, la moitié inférieure ; cela veut dire que nous travaillons vraiment pour les TPE.

  • - Sur les 600 millions prêtés, vous en retrouvez combien ?

    - Mettez vraiment en avant le fait que nous avons un super taux de remboursement. Il varie un peu selon les produits mais nous arrivons à 90 % pour les micro-entrepreneurs et à plus de 95 % pour les PME. Les indépendants sont fiers de rembourser. Quand ils sont en difficulté, ils nous contactent. Notre service de médiation peut rééchelonner si nécessaire.

  • - La crise du Covid n'a pas multiplié les problèmes ?

    - Non. Au contraire, elle a confirmé que les indépendants ont la volonté de payer leurs dettes, de respecter leur parole et leurs engagements. Nous avons reçu beaucoup de courrier pour dire : "Je suis en difficulté mais ne vous tracassez pas, je vous rembourserai." Avec vingt ans d'expérience, je peux vous dire que la préoccupation n° 1 n'est pas de se prémunir contre les mauvais payeurs, mais d'avoir davantage de dossiers.

    Les banques ont fait le boulot

  • - Comment avez-vous réagi en mars 2020, lors du premier confinement ?

    - Nous savions que les entrepreneurs allaient d'abord couper dans les dépenses. Mais certaines sont incompressibles : loyer, frais d'entretien, abonnements divers… En s'accumulant, ces frais pouvaient générer une dette et nous avons donc créé le prêt ricochet : garantie à 75 % d'un prêt bancaire de 30.000 euros maximum, avec un supplément Sowalfin de 15.000 euros. C'était un message aux banques : ne partez pas ! Accordez des moratoires, nous allons les valoriser. Et il faut reconnaître que les banquiers ont été d'une grande correction. Ils ont remis de l'argent, avec nous, pour préserver l'activité économique.

  • - Sur le terrain, la perception de l'attitude des banques est, disons, plus mitigée…

    - Certaines ont été timides au départ. Quand elles ont eu connaissance du prêt ricochet, quand on les a contactées pour dire qu'on avait besoin d'elles, elles ont fait le boulot sans ambiguïté. L'hésitation de départ est compréhensible. Personne ne savait comment les choses allaient tourner et combien de temps ça allait durer. Dès qu'il y a eu une perspective de sortie de crise, les banquiers ont remis de l'argent ; d'abord dans les plus grandes PME, c'est vrai. Et encore une fois, les entrepreneurs ont été dignes de confiance. Certains craignaient qu'ils n'encaissent les droits passerelle et les primes puis jettent l'éponge. Ils ont préféré poursuivre avec des remboursements mensuels plutôt que de passer par une cessation de paiement et repartir d'une feuille blanche. Pour cela, grand respect !

  • - Le prêt ricochet n'a pas rencontré, dit-on, un énorme succès…

    - Dans sa première version, il a bien marché. Nous avons ensuite proposé une formule "relance", renforcée, avec une garantie sur 50.000 euros maximum de la banque et 50.000 euros possibles de la Sowalfin. Nous approchons des huit millions engagés. Ce n'est pas mal. C'est vrai qu'on avait envisagé davantage mais les entrepreneurs sont déjà bien chargés de dettes et de reports de paiement, ils ne veulent plus alourdir la barque. Le prêt ricochet "relance" intéresse surtout les plus grandes PME, avec une plus grande capacité à rembourser.

  • - Vu les difficultés actuelles, faut-il une troisième version, encore renforcée ?

    - Je fais partie d'un groupe de travail auprès du gouvernement wallon pour voir s'il faut encore intervenir. Notre proposition est de remettre le prêt ricochet à disposition, peut-être avec des montants plus importants. Mais je l'ai dit, les PME ont déjà beaucoup de dettes sur les épaules. Il faut continuer à travailler avec les primes et les soutiens pour éviter un maximum de cessations.

    Le 1890, pour informer mais aussi accompagner

  • - Lancé en 2018, le portail 1890 s'est avéré fort utile !

    - C'est le guichet unique des entreprises, non plus du point de vue financier, mais pour l'information. Lors de la crise Covid, le nombre d'appels est monté à 18.000 par jour. De la pure folie ! Nous avons fait face, notamment grâce à l'appui d'UCM. Les indépendants voulaient savoir s'ils pouvaient travailler, quels étaient les soutiens possibles, comment les demander, comment les obtenir… Nous avons aussi compris ce que les entrepreneurs vivaient et nous avons fait remonter énormément d'informations sur la situation de terrain auprès des décideurs. À un moment donné, il y avait une grande détresse. Avec le 1890, nous avons pu développer un langage très concret, apporter une aide effective. La durée moyenne d'un appel était de sept minutes. Ce n'est pas rien.

  • - Le 1890 est un outil d'information, mais aussi d'accompagnement ?

    - Bien sûr. Cela s'est vu aussi lors des inondations du 14 juillet dernier. Dès le 16, nous proposions aux entrepreneurs sinistrés un préfinancement de 50.000 euros sur l'intervention des assurances, pour leur permettre de signer immédiatement des bons de commande. Nous avons eu une centaine de demandes. Nous avons donné des infos, orienté, mais aussi assisté les personnes dans leurs relations avec les assureurs. Nous gérons aussi 670 dossiers de demande d'intervention au Fonds des calamités. Nous avons été chargés de cette mission le 15 mars et il nous reste 150 dossiers à boucler. Tout sera terminé avant la mi-juillet, comme promis.

  • - En vitesse de croisière, l'offre d'accompagnement est suffisante en Wallonie ?

    - Elle est excédentaire. Nous allons donc spécialiser les soixante personnes actives sur le terrain. Il y aura des experts en création, en croissance, en transition bas carbone, en transmission, qui seront mieux formés et mieux payés, pour éviter le turn-over actuel. La Commission européenne met des moyens à disposition pour assurer des prestations de qualité. Chaque starter ou entrepreneur recevra un rapport de mission, avec des éléments concrets pour l'aider à franchir l'étape. On parlera son langage : chiffre d'affaires, compte de résultat, marges bénéficiaires… Avec nos partenaires de terrain, dont UCM, nous préparons cette réforme de l'accompagnement qui sera d'application début 2023.

    Transition économique : inutile de menacer

  • - En 2030, la Région bruxelloise ne soutiendra plus que les entreprises dites exemplaires, qui ont opéré le virage vers une économie durable. La Wallonie fera la même chose ?

    - Je n'aime pas menacer ou punir. Mais je lance un signal d'alarme aux PME et indépendants wallons : faites attention aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). En 2023, toutes les entreprises cotées en bourse devront indiquer dans leur rapport trimestriel comment elles intègrent ces dix-sept ou dix-huit objectifs de développement durable. Elles vont faire pression sur leurs fournisseurs. Les banques aussi doivent annoncer quelle part de leurs crédits elles consacrent à des entreprises qui respectent les critères ESG. Le marché va faire le travail de lui-même. Pas besoin de rajouter une couche.

  • - Vous allez accompagner les entrepreneurs dans cette transition ?

    - La Sowalfin mettra à disposition des conseillers pour les sensibiliser et les accompagner. Ce qui me gêne très fort, c'est l'absence de règles claires. Pour évaluer la solidité financière, les agences internationales sont d'accord à 98 %. Pour le respect des règles ESG, les cotes varient de 40 à 75 %. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. La première chose à faire, c'est de standardiser les infos à donner et les efforts à consentir. On annonce qu'en 2025, les PME devront fournir des rapports, mais le contour reste flou. Je plaide pour que ce soit joint au bilan comptable, qui inclut déjà le bilan social. Le risque – parce qu'on a perdu beaucoup de temps et qu'on veut aller trop vite –, c'est qu'il y ait cinquante formulaires différents pour la Sowalfin, le Forem, l'administration, la TVA, les communes, le fédéral… UCM doit taper du poing sur la table pour éviter cette catastrophe.

Il y a trente ans, on décourageait l'entrepreneuriat.
  • - La Sowalfin fusionnera bien avec la SRIW et la Sogepa au 1er janvier 2023 ?

    - C'est ce qui est prévu. La Sowalfin est la résultante de onze fusions et absorptions en vingt ans. Nous sommes rodés à intégrer différentes cultures et à conserver notre ADN de proximité et de service aux entreprises. Nous espérons le garder dans la nouvelle structure.

  • - Ce sera possible ? La SRIW et la Sogepa sont des organismes de financement des grandes entreprises…

    - Nous pesons 4.000 dossiers et 600 millions d'euros. La structure fusionnée traitera 4.500 dossiers et entre 850 et 900 millions d'euros. Je ne me fais pas trop de soucis.

  • - L'avenir de la Wallonie passe par la croissance d'un tissu de PME, comme dit par Elio Di Rupo dès 1999, dans le Contrat d'avenir ?

    - Tout à fait. En 2002, avant sa régionalisation, le Fonds de participation fédéral octroyait environ 50 millions d'euros par an, dont la moitié à la Wallonie grâce à l'action de feu Roger Mené (alors président UCM, NDLR). De 25 millions, nous sommes passés à 600 millions. Les indépendants et les PME ont une maison où ils peuvent demander des infos, de l'accompagnement, du financement. Demain, il y aura une grande maison fusionnée mais ils auront un portique d'entrée avec au minimum les mêmes services.

    Le public doit être aussi bon que le privé

  • - Malgré les progrès, l'économie wallonne reste à la traîne et le dynamisme entrepreneurial très inférieur à celui de la Flandre. C'est un problème de mentalité ?

    - J'ai terminé mes études d'économie en 1991. À l'époque, on nous décourageait d'être indépendants. "Travaillez pour des banques, pour des grands groupes mais surtout, ne risquez pas de perdre votre maison et celle de vos parents !" C'était le discours. Il a changé. Les jeunes apprennent des valeurs qui fondent l'esprit d'entreprendre : estime de soi, confiance en soi, créativité, travail en équipe, persévérance, gestion financière… Ils ne deviendront pas tous indépendants mais ce n'est pas grave : leur apporter ça, c'est leur faire du bien.

  • - Il faut le faire davantage ?

    - Quand la Sowalfin a repris la mission de sensibilisation à la création d'entreprise, 20.000 à 30.000 jeunes étaient touchés chaque année. Nous sommes à 54.000 (l'an dernier) et notre objectif est 100.000 le plus rapidement possible. Je soutiens particulièrement les projets de mini-entreprises. C'est une expérience qui change une vie. Chacun peut se rendre compte en situation de la nécessité de collaborer et de persévérer pour surmonter les difficultés. Chacun comprend que tout le monde n'a pas les mêmes compétences, les mêmes envies. Ces programmes font du bien à notre jeunesse. Mais la sensibilisation peut commencer en primaire, avec des jeux éducatifs, des projets de cafétaria commune, de repas collectifs, de gestion des déchets… Plus nous aurons de jeunes qui ont appris à avoir confiance en eux et dans le travail de groupe, plus nous aurons de personnes qui basculeront vers le statut d'entrepreneur.

  • - Ce n'est pas simple de donner confiance pour le moment. Les indépendants ont le vent de face…

    - C'est clair. Mais ne sous-estimez pas l'aspiration des jeunes à être maîtres de leur destin. Le projet de vie a évolué. Avant, l'important, c'était de se caser, d'avoir la sécurité, d'être sur les rails. Aujourd'hui, il faut donner du sens à sa vie et à son travail. Et pour donner du sens à son quotidien, les valeurs entrepreneuriales sont belles ! C'est important d'être "à son compte", de ne rendre des comptes qu'à soi-même. "Je travaille, je peux facturer. J'ai bien travaillé, je prends le temps d'aller manger et boire des bières avec mes copains." La génération qui arrive est dans ce trip-là et nous devons l'aider à se réaliser. C'est un projet de société porté, je pense, par toutes les formations politiques.

  • - Sûrement pas le PTB !

    - Je ne fais pas de politique.

  • - En tant qu'homme de chiffres, vous êtes inquiet de l'état des finances wallonnes ?

    - Bien sûr. Il est essentiel pour moi de gérer au mieux les deniers publics. Notre réforme de l'accompagnement, par exemple, prévoit une meilleure rémunération des experts, mais devra prouver qu'elle apporte une réelle valeur ajoutée. Appliquer cette méthode, prouver que chaque euro dépensé apporte un plus à l'utilisateur final pourrait servir de modèle et amener un changement de paradigme en Wallonie.

  • - D'autres organismes publics devraient s'en inspirer ?

    - C'est au gouvernement de le décider. Il y a sûrement des choses à faire, surtout pour bénéficier du soutien de fonds européens. Vous évoquiez le Contrat d'avenir de 1999. À l'époque, Elio Di Rupo avait aussi dit que si le secteur public voulait garder sa place dans la société, il devait fonctionner au moins aussi bien que le secteur privé. À la Sowalfin, c'est un de nos moteurs.

Contexte

Outils économiques

Centralisation

En 1978, le gouvernement fédéral – il n'y en avait pas d'autre – a innové en créant une institution publique de crédit pour aider les indépendants et les chefs de PME à démarrer leur activité. Le Fonds de participation, longtemps dirigé par le président d'UCM, Roger Mené, a été doublé en 2002 par des organismes régionaux, avant de se dissoudre.

Jean-Pierre Di Bartolomeo, à la tête de la Société wallonne de financement (Sowalfin) dès 2005, l'a développée, a absorbé divers organismes de soutien aux PME (ASE, AST, AWT…), et coordonné le travail avec les invests locaux.

Le gouvernement wallon a décidé de fusionner la Sowalfin avec la Sogepa et la SRIW, les deux organismes publics de prêt aux grandes entreprises.

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