Pierre-Yves Jeholet (MR)

Ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles
03/04/23

Verviétois de 54 ans, Pierre-Yves Jeholet est journaliste et juriste de formation. Il entre dans le monde politique chez les libéraux au milieu des années 1990 aux côtés de Didier Reynders, dont il intégrera l'équipe au sein du gouvernement fédéral (1999).
Conseiller communal à Herve en 2000, puis provincial à Liège (2000-2003), il est député à la Chambre (2003-2004), au Parlement de Wallonie (2004- 2007) puis de nouveau au fédéral.
Bourgmestre de Herve entre 2012 et 2017, il est nommé vice-président du gouvernement wallon et ministre de l'Économie, de l'Industrie, de la Recherche, de l'Innovation, du Numérique, de l'Emploi et de la Formation. En septembre 2019, il devient ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Au MR, il préside la fédération provinciale de Liège depuis novembre 2021.

Développons des synergies au sein de l'alternance

Ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Pierre-Yves Jeholet (MR) a l'objectif d'utiliser la fin de la législature pour proposer des pistes d'optimisation des outils d'enseignement qualifiant, de formation professionnelle et d'alternance. Repartir d'une feuille blanche, quitte à bousculer le ronron du secteur.

Isabelle Morgante

Il faut pouvoir casser les codes et abandonner nos tabous.
  • - Quelles sont vos priorités en tant que ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?

    - Le défi majeur de la Wallonie et de Bruxelles est de créer davantage d'activités et d'emplois. Nous sommes largement en dessous de la moyenne européenne et de la Flandre. En Wallonie, nous cumulons pénurie de main-d'œuvre et taux de chômage trop élevé, avec une masse critique chez les 20-30 ans. Or, pallier cette pénurie est essentiel pour nos entreprises et représente une opportunité pour notre jeunesse.

    Cette situation est fortement liée à la qualification et à la formation des jeunes, qui ne rencontrent pas les besoins et attentes de nos entreprises. Notre priorité est donc d'axer sur la formation et l'éducation. Ces trente dernières années, les résultats n'ont pas été à la hauteur, malgré les investissements. C'est une des raisons pour lesquelles le Pacte d'excellence a été initié, afin de mobiliser l'ensemble des acteurs autour d'un objectif commun. Au travers du Pacte, nous avons augmenté le financement de l'enseignement obligatoire à hauteur d'un total d'environ 1,4 milliard d'euros entre 2019 et 2023, dont plus de 300 millions d'euros sur la seule année 2023. Mais le Pacte ne résoudra pas tout, il ne constitue que la première étape du redressement de notre enseignement.

  • - Que faut-il faire concrètement alors ?

    - Clairement, relever les défis de l'alternance et valoriser l'enseignement qualifiant, faire en sorte qu'il constitue un premier choix, issu d'une orientation positive et non d'un parcours de relégation après une succession d'échecs. Trop souvent, c'est le cas et c'est très négatif. Il faut travailler sur l'orientation positive non seulement auprès des jeunes mais aussi et surtout auprès des parents car trop d'entre eux veulent encore que leur enfant s'inscrive dans l'enseignement général traditionnel, sans lui laisser le choix.

  • - Qu'en est-il du tronc commun du Pacte d'excellence ?

    - Le tronc commun constitue un nouveau parcours d'apprentissage qui se déploie de la première maternelle à la troisième secondaire. Il se veut identique pour tous les élèves, quels que soient l'école fréquentée et le réseau. Au travers du tronc commun, il faut faire en sorte qu'il y ait d'abord une meilleure maîtrise des connaissances de base comme le français et les maths, qu'elles soient renforcées et qu'ensuite, le jeune soit orienté de manière positive vers la filière qui lui convienne. À cette fin, d'autres compétences, jusqu'ici peu investies, font leur apparition dans le parcours commun telles que l'esprit d'entreprendre, la créativité, les aptitudes manuelles, techniques, technologiques et numériques, ou encore la formation artistique et culturelle. C'est un défi important pour les équipes éducatives et les jeunes mais cela correspond à un besoin crucial des PME.

Faisons correspondre la formation des jeunes aux besoins des PME.
  • - Quels sont les chiffres de l'alternance ?

    - Nous avons demandé à l'asbl "Agir pour l'enseignement" de dresser un état des lieux pour que toutes les entités parlent d'une seule voix et que nous ayons une vision politique partagée avec les acteurs de l'enseignement, de la formation professionnelle mais aussi avec les partenaires sociaux. Les chiffres sont là : l'alternance des 15 à 25 ans a diminué de 1 % par an depuis dix ans. Le taux d'abandon entre la première et la dernière année en alternance est supérieur à 70 % du nombre d'inscrits. Quand on dit que 86 % des diplômés de l'IFAPME trouvent un emploi, cela représente combien de jeunes finalement ?

  • - Quelle est la solution pour maximaliser les chances des jeunes ?

    - Je pense que l'on investit beaucoup de moyens publics pour finalement peu de résultats, surtout quand deux écoles de réseaux différents, distantes de cinq kilomètres et accueillant chacune peu d'élèves, proposent les mêmes options. L'état des lieux a été validé dans tous les gouvernements, il convient aujourd'hui de se saisir de ce rapport afin de dégager une vision partagée par l'ensemble des acteurs politiques, socio-économiques et des intervenants afin d'éviter la dispersion de moyens. Je suis favorable à la simplification des filières de l'enseignement qualifiant et de l'alternance. Aujourd'hui, il y a de la redondance. À un moment donné, il faut casser les codes et abandonner nos tabous. Nous allons travailler sur cet objectif jusqu'à la fin de la législature pour le mettre en œuvre dès le début de la prochaine.

  • - Est-ce encore possible, en un an, de préparer le terrain de cette manière ?

    - Le Parlement ne va pas voter une réforme de l'alternance mais il faut l'engager et la préparer pour la prochaine législature. Le timing est ambitieux. Force est de constater qu'aujourd'hui, nous sommes dans la dissolution et la dispersion des moyens publics. Nous sommes même parfois dans la concurrence entre organismes régionaux et l'enseignement. Je suis heureux que les différents niveaux de pouvoir se parlent enfin ! Il faut également rapprocher écoles et entreprises. Près de huit enseignants sur dix n'ont pas exercé d'activité professionnelle en lien avec le métier technique auquel ils forment ces trois dernières années et moins de 35 % se rendent en entreprise pour se tenir au courant des évolutions technologiques ! Or, on sait combien les métiers évoluent. L'enseignement doit être rapproché des mondes économique, du travail et de l'entreprise. Les niveaux de formation et des professeurs doivent être impérativement "upgradés" !

    Redressement wallon via le taux d'emploi

  • - Les dernières technologies sont-elles la clé ?

    - Nous avons assez d'équipements et clairement, je pense qu'il faut sortir des écoles car nous sommes dans des mondes cloisonnés et concurrents ! Ça n'a plus de sens ! Il faut faire se rencontrer la formation des jeunes et l'intérêt des entreprises. On peut décider toutes les réformes que l'on veut, si la mentalité ne change pas, ça ne sert à rien ! On doit revenir aux valeurs du travail, du mérite et de l'effort. Du respect de son école et de son enseignant. Si on n'applique pas ces principes, comment voulez-vous que les jeunes aient le respect de leurs collègues de travail et de leur employeur ? Cette mentalité positive permet d'éviter les absences, les démotivations, les abandons et la crainte des entrepreneurs d'accueillir ce public ! Nous devons revenir sur des valeurs essentielles à la fois à l'école et une responsabilisation des parents.

  • - Quel enseignement doit aller vers l'autre ? Les Cefa de votre Fédération ou l'IFAPME de la Région ?

    - Je pense que ça serait une erreur, en l'état, de privilégier un système plutôt qu'un autre. Le débat institutionnel est secondaire, pour autant que chacun accepte de jouer le jeu et d'entrer dans la danse une fois que le modèle idéal du qualifiant et de l'alternance sera défini.

    L'inclusion sociale passe par le travail

  • - Est-ce qu'on parle de mutualisation des moyens publics ?

    - Des moyens publics, de l'argent et du capital humain. Les formateurs régionaux et les enseignants ne doivent plus se regarder en chiens de faïence. Les objectifs et les modèles doivent être identiques. Ce rapprochement devrait être une réponse valable aux métiers en pénurie. Clairement, il faut se dire que nous sommes en situation d'échec dans la formation professionnelle. Lorsqu'on fait le parallèle entre tous les moyens publics engloutis par le Forem, tout ce qui gravite autour et le résultat, il y a un problème ! Il faut se poser la question de savoir pourquoi les résultats ne suivent pas. Pourquoi ne pas investir ces moyens-là dans les entreprises, avec des obligations de résultat ?

  • - Comment expliquer cet échec ?

    - C'est le résultat de la culture de l'excuse. L'inclusion sociale et l'émancipation de chacun passent obligatoirement par le travail. Croire que l'on peut vivre dans une société où l'on met le travail de côté est une utopie. Parfois, j'ai l'impression que la valeur travail est un vilain mot.

  • - En mutualisant les moyens, pourrait-on créer des incitants d'accueil pour les PME ?

    - Oui, c'est une solution, surtout lorsqu'on ne peut constater que l'échec des résultats actuels. On doit être créatifs. Créer des incitants est possible, notamment dans les métiers en pénurie. J'entends ce ras-le-bol des entrepreneurs qui prennent des risques, qui se tuent à la tâche, de leurs collaborateurs qui bossent bien… et qui voient en face des gens qui ne vivent pas trop mal sans travailler. Chaque fois que l'on évoque cet écart entre les actifs et les demandeurs d'emploi, on entend toujours les partis de gauche parler de revalorisation des allocations de chômage ! Je préconise la limitation de ces allocations dans le temps, puisque la dégressivité ne semble pas fonctionner. Sans changement du système actuel, la poche des demandeurs d'emploi de longue durée ne va pas diminuer. Si l'on n'améliore pas le niveau de formation des jeunes, ces derniers rentrent dans cette poche et ça fera boule de neige.

  • - Revenons au Pacte d'excellence. La ministre Caroline Désir (PS) voudrait que l'on objective le travail des enseignants en termes de résultats, cela provoque l'ire des syndicats. Or il y a des évaluations dans les entreprises, avec des objectifs de résultats. Pourquoi pas dans le public ?

    - C'est une nouvelle incompréhension syndicale. À l'instar de n'importe quel travailleur, je ne vois pas pourquoi les syndicats pourraient se permettre de refuser. Je crois que l'immense majorité des enseignants n'y voit quant à elle pas de difficultés. Les syndicats protestent car cela peut mener au licenciement mais il est légitime de pouvoir écarter un enseignant qui ne fait pas d'effort et refuse de se former. Le monde de l'enseignement doit évoluer ! Tous les travailleurs, des secteurs public et privé, sont évalués de manière régulière. Pourquoi les enseignants seraient-ils une exception ? Le gouvernement ne cédera pas sur ce volet !

  • - Qu'avez-vous fait dans cette législature pour aider les PME ?

    - Je pense qu'élever notre niveau d'éducation est le meilleur service que l'on peut rendre aux PME. C'est de notre devoir.

On dirait parfois que la valeur travail est un vilain mot.
  • - De quoi êtes-vous le plus fier dans cette législature ?

    - Je suis quelqu'un de positif mais il faut parler vrai ! Notre gouvernement a beaucoup réformé et créé. Je suis fier de notre bilan et de la manière dont les trois partis ont travaillé, au-delà de nos différences. Le chef d'équipe que je suis est satisfait du travail accompli ! Nous avons aussi créé 5.200 places d'accueil de la petite enfance, c'est indispensable pour aider les jeunes parents à travailler sereinement. Ce n'est pas anodin, surtout pour le monde de l'entreprise.

  • - Et les finances ? Elles sont souvent qualifiées de "compliquées" quand on parle de la Fédération Wallonie-Bruxelles…

    - Nos finances se portent mieux que les celles des autres niveaux de pouvoir mais ça reste un problème structurel ! On ne peut pas se mettre la tête dans le sable, il faut admettre que la situation financière est préoccupante mais toutes les finances publiques sont dans le même état.

  • - Il y a des solutions ?

    - Oui mais il faut du courage pour les porter et il faudra des efforts, en étant beaucoup plus regardants dans nos dépenses. Les pouvoirs publics ont vécu au-dessus de leurs moyens et la succession des crises n'a pas permis de réduire les dépenses sous cette législature. On ne peut plus se le permettre. Il y a trop de structures redondantes et concurrentes entre elles. Nous sommes dans un état obèse et l'argent public ne coule pas des murs. La classe moyenne n'est jamais assez pauvre pour bénéficier de ce qui est mis en place mais toujours assez riche pour payer des impôts, ça ne va pas.

  • - Où serez-vous à l'aube des élections l'an prochain ?

    - À Herve !

  • - Vous vous sentez à l'aise dans votre fonction de ministre-président ?

    - J'ai pris beaucoup de plaisir dans toutes les fonctions occupées et je me bats pour défendre cette feuille de route dessinée par le gouvernement. Je mènerai probablement la liste fédérale en province de liège, sur la circonscription de la province. Je suis président de fédération provinciale, ça me semble logique.

Contexte

Positiver et relancer

L'alternance doit être un chantier prioritaire au bénéfice de l'emploi

La Belgique enregistre un taux d'alternance parmi les plus bas d'Europe. Le besoin est pourtant criant vu la pénurie de main-d'œuvre dont souffrent les entreprises.

Mais les chiffres sont là : quels que soient les opérateurs, le taux d'abandon des apprenants en alternance est de l'ordre de 70 %. Et moins de deux employeurs sur dix (16 %) forment des apprenants en alternance, contre 31 % au niveau européen. Un constat d'autant plus décevant que la Belgique se trouve dans le top cinq des pays qui investissent le plus de fonds publics dans la formation professionnelle pour adultes, avec 93 euros par an et par habitant en âge de travailler.

Une refonte des dispositifs de formation et d'accompagnement pourrait-elle inverser la tendance et améliorer in fine le taux d'emploi ?

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