Valérie De Bue

Ministre wallonne des Pouvoirs locaux
18/09/18

Licenciée en sciences économiques, spécialisée en aménagement du territoire et urbanisme, Valérie De Bue (51 ans) a commencé sa carrière professionnelle à l'Intercommunale du Brabant wallon. Elle quitte Bruxelles pour Nivelles en 1997. Élue au conseil communal en 2000, elle entre l'année suivante au cabinet du tout jeune Charles Michel, ministre wallon des Affaires intérieures. Députée fédérale en 2003, échevine en 2006, elle passe au Parlement wallon et au Sénat en 2014 et cesse alors d'exercer ses fonctions scabinales. En 2017, elle devient ministre wallonne en charge des Pouvoirs locaux, du Logement et des Infrastructures sportives.

La gestion des communes sera plus efficace

L'obligation de définir un plan stratégique 2019-2024 va professionnaliser la politique communale, et permettre davantage de transparence et d'implication des citoyens. Valérie De Bue souhaite une réflexion pour une nouvelle organisation du territoire wallon.

Thierry Evens

Répéter “y a qu'à”, “y a qu'à” sur les réseaux sociaux, c'est facile.
  • - Est-ce au niveau local que se posent le plus de problèmes de gouvernance ?

    - Je ne le pense pas. Mais il est vrai que j'ai, comme chaque ministre wallon, cette priorité de bonne gouvernance dans ma feuille de route. C'est pourquoi j'ai fait passer quatre décrets qui donnent aux communes, aux CPAS, aux intercommunales et sociétés publiques un nouveau cadre, qui leur permet de mieux répondre aux attentes des citoyens.

  • - Il s'agit d'améliorer la gestion ou de lutter contre les abus ?

    - Les deux. Il fallait éviter les dérives de type Publifin. Je ne veux pas jeter l'opprobre sur tout le monde, loin de là, mais il était nécessaire de mieux baliser le fonctionnement des intercommunales, en suivant les recommandations de la commission d'enquête parlementaire. C'est ainsi que nous avons pu réduire le nombre de mandats et limiter les rémunérations. En même temps, nous avons voulu donner aux responsables locaux des outils pour une meilleure gouvernance.

  • - Quels genres d'outils ?

    - La base, c'est le programme stratégique transversal. L'idée est que chaque commune, en début de mandature, définisse ses objectifs sur les six ans à venir et les actions à mener pour les atteindre. C'est un exercice de prospective qui sera obligatoire en 2019, après le renouvellement des conseils communaux.

  • - Lourde tâche !

    - C'est vrai. L'exercice peut être difficile, mais il donne de bons résultats. Vingt-quatre communes pilotes ont adopté en 2013 ce qu'on appellerait dans le privé un plan d'entreprise. L'évaluation de cette expérience est très positive. C'est pourquoi nous la généralisons à l'ensemble des communes.

  • - Y sont-elles prêtes ?

    - Nous avons organisé des formations avec l'Union des villes et des communes. Un guide méthodologique a été rédigé. Ma volonté est que l'administration régionale accompagne les élus, en particulier dans les plus petites entités. L'exécution des programmes stratégiques nécessite un dialogue permanent entre les responsables politiques et les fonctionnaires.

  • - C'est aussi un outil d'évaluation et de transparence ?

    - Tout à fait. C'est très important pour moi. La confiance dans le politique a été ébranlée. La proximité communale permet d'imaginer des structures participatives pour associer les citoyens à l'élaboration et à la bonne réalisation du programme. Les vingt-quatre communes qui l'ont testé affirment que le plan de six ans est aussi un superbe outil pour l'opposition. Il dynamise la démocratie.

  • - Est-ce que les fonctionnaires adhèrent au projet ?

    - Franchement, je sens une volonté d'un meilleur management. L'Union des villes et des communes a énormément soutenu le projet. Il ne date pas d'hier. Vous savez qui a eu l'idée d'un "contrat d'avenir local" en 2003 ? Charles Michel quand il était ministre wallon. Il s'est heurté à des Van Cau (NDLR : Jean-Claude Van Cauwenberghe, ex-bourgmestre de Charleroi alors ministre-président wallon) et autres poids lourds du PS. Il a fallu du temps pour y arriver mais en 2019, on y sera !

    Stéphane Moreau est toujours là...

  • - Le travail décrétal est terminé ?

    - Oui. Le dispositif est complet.

  • - Y compris pour les intercommunales ?

    - Toutes les recommandations de la commission créée suite au scandale Publifin ont été votées et mises en œuvre depuis le mois de mai.

  • - Mais Stéphane Moreau, patron de Publifin, est toujours là...

    - Il est toujours chez Nethys mais il n'a pas vocation à rester dans le secteur public. Publifin et ses filiales forment un groupe très complexe. Le gouvernement wallon a deux délégués spéciaux qui suivent de très près sa transformation. Elle doit se faire sans dommages pour l'activité économique et les 3.000 emplois du groupe. Le mandat de Stéphane Moreau évoluera vers les activités hors giron public (télécoms, pôle médias...). Je sais que son cas est emblématique, mais il ne doit pas cacher le fait que toutes les intercommunales ont répondu aux exigences du décret, revu leurs statuts, supprimé au moins 320 mandats et limité les très rares salaires qui dépassaient 245.000 euros par an. Le nouveau cadre est robuste et innovant. Il renforce la responsabilité des communes et de leurs élus. Il est totalement transparent puisque tout le fonctionnement des intercommunales sera ouvert au public, des mandats à l'activité.

    Fusions de communes ?

  • - Ne faut-il pas réfléchir à une politique des grandes villes ?

    - Deux choses. D'abord, nous venons d'hériter du fédéral, avec la sixième réforme de l'État, une liste de sept villes de plus de 50.000 habitants, dans le revenu par habitant est inférieur à la moyenne, qui bénéficient de subventions particulières. Il s'agit de Liège, Charleroi, Verviers, Seraing, Mons, La Louvière et Mouscron. Elles reçoivent 12 millions d'euros par an. Ce n'est pas rien. Ce montant est aujourd'hui réparti sans grande cohérence, pour des projets divers. Nous allons inscrire en 2019 ces subventions dans des contrats, des plans stratégiques de développement urbain. En second lieu, oui, il ne faut pas se laisser enfermer dans les structures existantes. Nous devons avoir des entités dont la taille correspond aux politiques qu'on souhaite.

  • - Vous envisagez des fusions de communes ?

    - Ce n'est pas le but ni le point de départ de la réflexion. Cela pourrait en être l'une des conséquences. L'objectif est de repenser l'organisation du territoire, de donner à l'ensemble des structures publiques, et pas uniquement aux communes, la taille idéale pour rendre les services qu'on attend d'elles. C'est un mal wallon de multiplier les outils.

  • - En professionnalisant la gestion communale, n'allez-vous pas décourager l'engagement politique ?

    - Au contraire ! Pour les élus, c'est plus facile de travailler sur le long terme, avec un tableau de bord tenu par des fonctionnaires formés pour ça. Le programme stratégique transversal permet d'y voir plus clair, aide à prendre les bonnes décisions. En même temps, il est évident que c'est difficile aujourd'hui d'être un élu politique. Les citoyens exigent de la compétence, de la transparence, de la disponibilité aussi. À Nivelles, nous avons décidé qu'un échevin doit prester au moins un mi-temps dans son bureau, sur ses dossiers. Il faut faire des choix pour pouvoir consacrer autant de temps à sa commune.

  • - On dit la démocratie malade. Ce n'est pas vrai dans les communes ?

    - Je suis optimiste. Nous sommes à un tournant. La nouvelle mandature, avec les nouvelles règles que nous avons fixées, permettra d'impliquer les citoyens dans les décisions via des plateformes, des budgets participatifs. Répéter "y a qu'à'", "y a qu'à" sur les réseaux sociaux, c'est facile. S'impliquer, c'est plus utile et ce sera possible. Le politique ne doit pas être seul responsable de tout.

    La commune, acteur économique

  • - Comment se portent les finances communales ?

    - Il y a des difficultés liées à la sécurité, aux zones de police, aux dotations aux CPAS. Tout cela n'est pas neuf. À mon arrivée, j'ai reçu des signaux d'alerte à propos des pensions. Beaucoup de communes n'ont pas cotisé suffisamment pour couvrir le coût de la retraite de leurs agents statutaires. Cela crée une injustice. Un contractuel touche une pension égale à 46 % de son dernier salaire alors qu'il aurait eu 66 % s'il avait été nommé. J'ai mobilisé 45 millions d'euros en trois ans du Fonds des provinces, qui ne manque pas d'argent, pour aider les communes à donner aux contractuels une assurance groupe. Cela réduira l'écart.

  • - Les recettes communales ont souffert du tax shift, non ?

    - C'est vrai. En réduisant l'impôt des entreprises et des ménages, on rabote aussi la part communale. Mais l'activité créée, les emplois en plus, l'amélioration du pouvoir d'achat : tout cela profite aux communes et génère des recettes nouvelles.

  • - La commune est aussi un acteur économique ?

    - Tout à fait ! Le premier enjeu est de maîtriser son budget et sa fiscalité. Il ne faut pas vivre au-dessus de ses moyens, ni décourager les habitants et les entreprises par des taxes lourdes. Le second enjeu est d'avoir une action proactive pour générer de l'activité et des recettes. Il est important d'avoir une politique d'accueil des PME, de faciliter leurs démarches, de favoriser les contacts entre les entrepreneurs. Il est aussi essentiel d'avoir des centres-villes dynamiques, avec des commerces et des habitants.

  • - Comment y arriver ?

    - Avoir un échevin du commerce ou des affaires économiques, c'est très bien. Je pense qu'on peut aller plus loin, désigner un expert extérieur ou au sein de l'administration qui ait une vision transversale de l'activité dans la commune ou dans plusieurs communes. Il existe bien des conseillers mobilité, énergie, logement... Un professionnel de l'économie pourrait proposer d'actionner plusieurs leviers en même temps dans un objectif de développement et de création d'emplois.

Les provinces vont disparaître naturellement.
  • - Comment voyez-vous l'avenir des provinces ?

    - Je vous l'ai dit : je souhaite une réflexion très ouverte pour simplifier et adapter la taille des structures de décision aux services à rendre. Dans cette nouvelle organisation du territoire, les provinces n'ont plus leur place. Elles disparaîtront naturellement, étant entendu que les services qu'elles rendent seront préservés. Par exemple, nous devons promouvoir le tourisme mais avec 3,5 millions d'habitants, à l'heure du numérique et de la mondialisation, unissons les efforts !

    Garder un pied à Nivelles

  • - Vous êtes candidate à Nivelles le 14 octobre.

    - Je pousse la liste.

  • - Vous n'êtes donc pas intéressée par le maïorat ?

    - Je suis très attachée à la proximité, à la gestion locale, aux contacts avec les citoyens. Je me sens très complémentaire avec le bourgmestre, Pierre Huart, qui a à peu près le même âge que moi. J'ai été sa première échevine de 2006 à 2014. Puis j'ai privilégié mon mandat de députée. Me voilà ministre à un poste qui me donne plein d'idées pour Nivelles, que je vois bien évoluer en "smart city" (ville intelligente).

  • - Après mai 2019, vous souhaitez la même coalition wallonne MR-CDH ?

    - Tant au fédéral qu'à la Région, le MR n'a jamais eu l'occasion de mener des politiques aussi proches de son programme. Et ça marche ! Économie, fiscalité, emploi, gouvernance, rationalisation des structures : nous avançons vite et bien. Nous avons eu peu de temps. Alors oui, je souhaite continuer à avancer au pas de charge pour redresser la Wallonie. Nous devons rattraper notre retard de développement de façon beaucoup plus rapide et structurelle que nos prédécesseurs. C'est un gage de paix communautaire parce que l'écart de développement entre le nord et le sud est évidemment le nœud du problème. Les recettes socialistes n'ont pas fonctionné. Donnons-nous encore une législature pour continuer sur notre lancée ambitieuse. L'électeur décidera...

Contexte

Intercommunales

Une ministre au cœur de la tornade éthique

Le 20 décembre 2016 éclate le scandale Publifin. Une intercommunale liégeoise devenue tentaculaire a arrosé des élus politiques locaux et rémunéré son patron, Stéphane Moreau, 960.000 euros par an. Une commission d'enquête parlementaire est constituée. Le ministre-président wallon, Paul Magnette (PS), annonce une "tornade éthique" mais son élan est coupé par le président du CDH, Benoît Lutgen. Lassé des socialistes, celui-ci provoque un renversement d'alliance et la majorité PS-CDH devient MR-CDH. Valérie De Bue hérite au cœur de l'été 2017 de la tutelle sur les Pouvoirs locaux, de la mission de nettoyage et de la préparation des élections communales et provinciales du 14 octobre 2018.

Elle a aussi travaillé à définir un cadre qui garantisse une meilleure gestion communale.

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