Pré de chez vous

Restaurant

Le bonheur est dans l'assiette du pré

17/05/24
Julien Malaisse et son titre de "jeune Chef de l'année".

Julien Malaisse, le Chef du "Pré de chez vous", a reçu le titre du "jeune Chef de l’année" ainsi que sa prestigieuse première Étoile au Guide Michelin. Rencontre, au coeur de son établissement, avec ce Namurois qui magnifie les saveurs.

Un jeudi, sur le coup de quinze heures. Couplé d’une inspiration pleine de plaisirs, l’oeil, aguiché, ne peut s’empêcher de rêvasser, illuminé par l’assiette que dresse, d’un geste ciselé dans la précision, le chef Julien Malaisse. L’art cu­linaire prend ici toute la noblesse de son sens, les effluves divins complétant ce tableau de maître éclairé aux plafonniers où fourmille dans une chorégraphie maîtrisée malgré ses dehors emmê­lés toute la brigade. Bienvenue au "Pré de chez vous", établissement namurois tout récemment auréolé d’une de ces fameuses Étoiles décernées par Michelin. Mais pas que. À quarante ans, le taulier des lieux a également, lors de la même fastueuse soirée, reçu le titre de "jeune Chef de l’année". De quoi, forcément, provoquer son lot d’émotions mais aussi une mort cérébrale de son… téléphone. "Pendant un mois, je n’ai plus jamais décroché… un truc de fou", explique-t-il, une fois fini le dressage. "En fait, depuis l’Étoile, je n’ai pas eu le temps d’analyser ça de manière sereine. De retomber les pieds sur terre. Le lundi, on a fermé pour aller à la cérémonie. Le lende­main, on ouvrait à midi. Et on a pris mille couverts réservés en trois jours. Dès que j’ai eu, en début de soirée, le prix du jeune Chef, mon téléphone a commencé à chauffer. Des gens suivaient la céré­monie en direct et ont réservé dans la foulée… Je ne m’attendais pas à ça".

Persuadé qu’il n’entrait plus dans les critères pour ce titre, Julien Malaisse a vu une deuxième fois les étoiles du bonheur quand son établisse­ment a reçu le mythique corps céleste du Guide français. "C’est un peu comme si on entrait dans une autre dimension. L’Étoile, c’est ce qu’il y a de mieux, c’est une fierté, c’est là que tout prend un sens. On se rend compte que ce qu’on a fait, les sacrifices, les doutes, les crises… On n’a jamais lâché. Et là, on oublie tout ça. On se dit que c’est du passé et qu’on a bien fait de le faire. On dit souvent que la première Étoile est liée à la rigueur et à la régularité du travail. C’est une concrétisa­tion".

Quatre mois de délai

Car, et c’est là évidemment tout le sel de la chose, impossible de prévoir si et quand cette traduction du savoir-faire va arriver. Démasquer les contrôleurs du Guide ressemble d’ailleurs à un jeu savant, moins caricatural que dans "L’aile ou la cuisse", mais tout de même extrêmement savoureux. Normal, cela étant, dans un restaurant de ce calibre. "On a été contrôlé, même si on ne le sait pas, mais on comprend… C’est toujours le même scénario. L’année passée, c’était 'bon­jour on a réservé pour deux mais mon ami est malade, je viens seul'. Ce sont des néerlando­phones qui ont un accent, ils prennent souvent un grand menu, toujours un litre d’eau et on a un petit truc et astuce entre restaurateurs, c’est que bien souvent le nom sur la carte de crédit est barré au marqueur. Ils sont venus trois fois sur quatre mois. Mais, après, on ne sait pas… On se dit qu’il y a peut-être un truc qui se passe mais sans en savoir plus."

Cette concrétisation a modifié une chose. Pas le savoir-faire, la minutie et l’implication de l’équipe, la qualité des produits ou le prix des menus (96 euros pour le sept services). Elle a plu­tôt assommé le carnet de réservations. Du genre, méchamment. "Comptez quatre bons mois pour une table le vendredi soir, six semaines pour les soirées les autres jours. Le midi, c’est variable", reprend Julien Malaisse, qui est entré en école d’hôtellerie à treize ans mais n’a ouvert son propre restaurant que plus tard. "Quand on est jeune, on n’a pas encore assez de maturité pour tout comprendre. À 34, 35 ans, c’est là que je me suis rendu compte que rendre les gens heureux par la cuisine, c’est ce qui m’excitait vraiment. C’est mon parcours, en passant par plusieurs mai­sons, traiteurs et même l’enseignement, qui m’a permis cette prise de conscience. Aujourd’hui, je suis forcément ultra-épanoui".

"Un métier de passion"

Ce bonheur, c’est l’une des composantes du succès de l’établissement étoilé, essentiel tant l’Horeca est chronophage et énergivore. "C’est un métier de passion. Celui qui compte ses heures, mesure l’ampleur des sacrifices qu’il fait, ça ne peut pas marcher. Quand j’ai un jeune qui me dit pour commencer : 'vous payez combien ? On est bien en congé pendant les week-ends ?' Je sais que ça ne va pas marcher. L’Horeca, c’est travailler quand les autres s’amusent. C’est faire beaucoup d’heures. Mais si on a des objectifs dans la vie, il faut se battre pour les atteindre", poursuit le Chef, alors qu’un membre de son équipe se questionne sur la tête du café que la machine vient de lui proposer. La réponse est directe : "Si ce n’est pas parfait, tu refais".

Fort de son expérience, Julien Malaisse insiste sur l’écart qui peut exister entre la réalité de la salle ou de la cuisine et les bancs de l’école. "C’est un métier rude et dans les formations scolaires, on ne leur apprend plus ça. On leur dit 'vous pou­vez travailler 38 heures semaine'. Moi, je ne peux pas dire au stagiaire, 'écoute grand, il est 22h, le restaurant est plein mais vas-y parce que ton ho­raire…' Ce n’est pas leur rendre service. Quand ils arrivent en dernière année et se rendent compte du métier, ils partent. C’est malheureux…"

"Vivre une expérience"

Pourtant, le restaurateur n’a pas (trop) de mal à compléter son équipe puisqu’il a mis en place un horaire un brin particulier. Le "Pré de chez vous" est ouvert tous les jours de la semaine et fermé le samedi et le dimanche. Peu habituel, donc. "Ça permet d’avoir une vie les week-ends", sourit ce papa de deux filles spor­tives. "La semaine, je ne les vois pas. Et puis, ça vient d’une réflexion : si on fait autant de monde le lundi midi et soir que le samedi soir, quel est l’intérêt d’ouvrir le samedi ? L’avantage, c’est que je suis sûr de remplir les trente cou­verts le samedi. Mais bon, le lundi, même si je fais dix à midi et vingt le soir, je fais mes couverts. J’ouvre un service en plus mais j’ai mon same­di. Et de fait, le lundi soir, on a pas mal de monde car beaucoup d’autres restaurants sont fermés. J’avais prévenu l’équipe, on teste trois mois et on voit. Ça fait deux ans…"

En ce jeudi après-midi, clairement, l’éta­blissement ne désemplit pas, le personnel fourmille. "Quand un client paye, c’est effecti­vement pour être servi, pour avoir un confort. Mais pas simplement pour manger. Je dis tou­jours à mon équipe que le client ne passe pas seulement la porte du restaurant pour manger, je veux qu’il la passe pour vivre une expé­rience", étaye le Chef. "Elle passe par la cui­sine ouverte, le fait que j’aille saucer les plats à chaque table, le partage de mes recettes quand un client le demande… Ce métier, c’est une vie à cent à l’heure mais comme je le dis et le répète, je ne voudrais pas autre chose. Celui qui veut avoir une vie de famille et en même temps ses week-ends et en même temps son restaurant, ce n’est pas possible. Ou alors qu’on me donne la recette…". Un comble, évidem­ment, pour un Chef…

 

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