Jean-Luc Crucke

Ministre wallon du Budget, des Finances, de l'Énergie, du Climat et des Aéroports
07/02/18

À Frasnes-lez-Anvaing, sa liste MR a récolté 55 % des voix en 2012 ! Jean-Luc Crucke (55 ans), avocat au barreau de Tournai, est militant libéral depuis toujours. Il a été président des jeunes du parti. Mais son engagement est d'abord communal. Bourgmestre depuis 1997, il n'est devenu député qu'en 2004 et ministre qu'en juillet dernier. Au Parlement wallon, dans l'opposition, il était connu pour son franc-parler. Le ministre Crucke n'a pas mis sa langue en poche...

Je dialogue avec l'Europe. En toute clarté. Et sans lui donner un coup de pied au cul dès que la sensibilité wallonne est un peu différente, comme sur le Ceta.

La Wallonie va montrer un AUTRE VISAGE

Ramener l'équilibre budgétaire, relancer les investissements, assurer la transition énergétique : Jean-Luc Crucke est un ministre ambitieux. D'autant qu'il exclut toute augmentation de charges.

Thierry Evens

  • Commençons par le budget. Quel héritage avez-vous trouvé ?

    J'ai fait deux constats. D'abord, le précédent gouvernement avait abandonné l'objectif de revenir à l'équilibre à brève échéance. Ensuite, il n'y avait plus aucun dialogue avec le fédéral et les autres entités. Chacun envoyait sa feuille de route à l'Europe sans synthèse. La crédibilité en souffrait. Nous avons rétabli le dialogue et abouti à un pacte de stabilité, à un document commun.

  • Revenir à l'équilibre à court terme, c'est pensable ?

    Non seulement c'est pensable, mais c'est indispensable. C'est pourquoi nous avons changé de cap. Dès 2018, nous n'aurons pas 318 millions de déficit comme prévu, mais 218 millions avec un buffer (une marge de sécurité, NDLR) de 30 millions. Au plus tard en 2020, nous y serons.

  • La Région retrouvera alors des marges ?

    Il y a une date que je veux que chaque Wallon ait en tête, c'est 2024. À partir de 2024, en dix ans, la solidarité interrégionale va s'éteindre. Cela représente 600 millions d'euros de recettes en moins. Nous devrons être en surplus.

  • Pardon, mais 600 millions d'euros en dix ans, sur un budget de l'ordre de 13 milliards, ça ne fait pas très peur...

    Rien ne fait peur quand on ne doit pas en supporter le poids. Mais quand on le sent, alors là, aïe, on sacrifie quoi ? Je ne serai pas le ministre qui oublie les générations suivantes et qui, par inconscience, charge les actifs de demain.

  • Vous voulez l'équilibre en 2020, des surplus en 2024, et vous lancez un plan d'investissement de cinq milliards d'euros en cinq ans. N'est-ce pas contradictoire ?

    Non, c'est cohérent au contraire. Le plan suppose d'abord le retour à l'équilibre budgétaire. Ce sont les fondations de la maison. Si elles sont solides et saines, nous pouvons envisager de bâtir une maison plus grande en dégageant des marges pour investir. Nous avons trois sources de financement : les économies, les budgets européens et les partenariats avec le privé.

  • Passons-les en revue. Les économies : c'est encore possible ?

    Bien entendu. Il reste des dépenses qui ne servent ni la relance économique, ni l'emploi, ni le bien-être des Wallons.

  • L'Europe : on peut compter sur elle ?

    Le plan Juncker ou la BEI (Banque européenne d'investissement, NDLR) ont des priorités que nous partageons : le numérique, l'énergie et la mobilité. L'Europe nous demande de privilégier ces investissements et c'est ce que nous allons faire. Ce sera plus facile de mobiliser les outils européens si nous sommes dans le dialogue et pas dans l'agressivité...

  • Agressivité ! Vous faites allusion au refus wallon d'approuver le Ceta (accord de libre-échange avec le Canada) ? La Wallonie souffre de cette attitude ?

    Souffrir serait un terme trop violent. Mais la Région s'est opposée à l'ensemble des pays de l'Union et à la Commission. Dire que personne ne s'en souvient serait une erreur. À présent, nous marquons un changement d'attitude et une volonté de collaborer. Nous dialoguons sans leur donner un coup de pied au cul dès que nous avons une sensibilité un peu différente.

  • À ce propos, vous allez forcer l'aéroport de Charleroi à rembourser les aides régionales ?

    C'est une décision de justice. Ici aussi, tout est clair avec l'Europe. En 2001, la Wallonie a fait un bon choix en décidant de développer ses aéroports. Cela a nécessité un investissement énorme. À présent, l'aéroport doit rembourser son actionnaire principal, qui est la Région, par le biais d'une redevance. Le ministre du Budget que je suis se réjouit des moyens qu'il reçoit et le ministre des Aéroports que je suis se réjouit parce que tout est clair. Il n'y a pas de sanctions et le développement de Gosselies, comme celui de Bierset à Liège, n'est pas compromis.

  • Revenons aux investissements et à la troisième source de financement : le privé. Selon l'opposition, c'est aléatoire...

    Ça, c'est le pessimisme des bricoleurs du tram de Liège, qui ont perdu dix ans en voulant faire à leur manière et placer l'Europe devant le fait accompli. Nous allons nous y prendre tout autrement : cibler 31 investissements et créer un comité scientifique et technique de suivi, avec des interlocuteurs européens. Des investisseurs privés, nous en aurons. Il faut arrêter avec la sinistrose et le manque d'orgueil. Nous demanderons aux entreprises et aux citoyens de participer au redressement et ils en connaîtront les fruits.

  • Aux citoyens ? Vous allez faire appel à l'épargne privée ?

    Via les banques. L'argent sur les comptes vient des citoyens. Et nous allons convaincre les banques avec des projets crédibles qui promettent un retour sur investissement. C'est fini d'investir pour faire plaisir à un ministre, à l'électorat d'un ministre ou à une sous-région. Nous investirons dans ce qui est stratégique et stimule l'économie.

  • Ce n'était pas l'objectif du plan Marshall ?

    Si, c'est vrai. D'ailleurs, nous libéraux l'avons toujours soutenu, même si nous avons regretté un manque de consommation des moyens. Le plan a partiellement réussi à créer une dynamique qui va se poursuivre, avec un budget de 425 millions d'euros par an et un accent mis sur la performance à l'exportation. Il faut dire aux PME de sortir de leur coquille wallonne et de chercher des parts de marché à l'étranger aussi.

  • Pour financer les investissements, une quatrième piste serait possible : augmenter les recettes par une hausse des prélèvements...

    Je n'en ai pas parlé parce que c'est une idée qui ne peut pas rentrer dans mon cerveau. Il est conformé d'une façon radicale sur ce sujet. Incompatibilité ! Et tant pis si on me le reproche à gauche.

  • Cela dit, c'est le gouvernement suivant qui devra mettre en œuvre les investissements...

    Évidemment, un tel plan est pluriannuel. Mais soit le gouvernement ne fait rien en attendant les élections, soit il élabore un projet dans la durée. Après, l'électeur a le dernier mot. À lui de juger si la trajectoire proposée est la bonne et si on a encore besoin des libéraux ou pas.

Bye-bye nucléaire

Le charbon et l'acier, c'est fini. L'avenir wallon, c'est le soleil et vent... © Jean-Luc Flémal/Belpress.com

  • La sortie du nucléaire en 2025, vous y croyez ?

    J'y suis totalement favorable. C'est inscrit dans la loi et des études démontrent que si on ne perd plus de temps, c'est possible. La condition, c'est d'être ferme dans le choix politique. J'ai été indépendant pendant vingt-cinq ans comme avocat, je sais qu'il n'y a rien de pire que le flou et l'incohérence.

  • D'où le pacte énergétique signé en décembre avec le fédéral et les deux autres Régions ?

    C'est un élément très important. Il avait été largement négocié avant que je n'arrive, mais mon amitié avec mon homologue flamand, Bart Tommeleyn, a certainement facilité son aboutissement. Il n'y a aucune concurrence mais adhésion à des objectifs communs, y compris la sortie du nucléaire. Au sein du Parlement wallon, je n'ai pas entendu de contradictions, rien que des encouragements et j'en remercie les députés. Nous pouvons travailler ensemble, résolument, à l'avenir.

  • Il faut produire davantage d'énergie renouvelable. Vous allez mettre des éoliennes partout ?

    La Wallonie d'hier était celle du charbon et de l'acier ; la Wallonie de demain doit être celle du vent et du soleil. Nous avons de l'espace. Il n'est pas normal qu'il y ait plus d'éoliennes en Flandre que chez nous. Pour libérer les investisseurs, nous devons lever les freins et d'abord garantir qu'il ne faut pas six ou sept ans avant qu'un projet aboutisse. Avec le ministre de l'Environnement, Carlo Di Antonio, nous voulons définir avant l'été un délai raisonnable pour donner un feu vert.

  • Vous voulez aussi relancer le photovoltaïque ?

    Le régulateur de l'énergie dit que c'est un investissement qui assure un retour de 5 %. C'est correct. Comme libéral, je dis qu'il n'est pas nécessaire de prévoir des aides publiques, sauf pour les ménages en situation sociale difficile.

  • Le photovoltaïque va redémarrer de lui-même ?

    C'est déjà le cas ! Il y a dix ans, seuls quelques grands rêveurs pensaient la rentabilité possible aussi vite, mais on y est. Si vous avez un peu de disponibilités financières, c'est le meilleur investissement possible. Avec une pompe à chaleur et les compteurs intelligents qui arrivent, vous serez paré pour considérer que l'énergie n'est plus un handicap, mais un élément positif dans la vie économique et sociale. Les réseaux de demain seront très différents de ceux d'aujourd'hui, plus libres, moins concentrés.

On me dit dangereux parce que plus écologiste que les Écolos ? C'est un beau compliment. Je suis libéral et je veux que demain, d'autres libéraux puissent vivre.

La différence MR

  • Le gouvernement MR-CDH a un an et demi pour faire la différence par rapport à l'équipe PS-CDH. Sur quoi vous jugera-t-on ?

    Je vais rester dans mes compétences... Pour le budget, je tiens pour une réalité que nous serons à l'équilibre au moment des élections de mai 2019. La Wallonie montrera ainsi un autre visage. En énergie, nous aurons assaini, rassuré, sécurisé les investisseurs. Les aéroports poursuivront leur développement avec un gestionnaire privé, un investisseur industriel et pas seulement financier. La Région ne sera que régulateur. Quant aux Finances, nous avons déjà fait la différence avec une réforme fiscale et la suppression de la redevance télé. Tout le monde l'a promis, nous l'avons fait. Et sans compensation.

  • Il est question cependant d'un prélèvement du même type, cinquante euros par personne, pour l'assurance autonomie...

    Je suis heureux que vous m'en parliez. Il n'y a pas de compensation. Fake new ! Payer cent euros par an pour regarder la télé, c'est fini. Point. Alors maintenant, il y a autre chose : un débat sur la protection sociale des personnes âgées. Oui, une assurance autonomie est à l'étude et son financement pose évidemment question. Le débat est ouvert. Il aboutira en temps et en heure. Mais c'est un tout autre débat.

  • Dans une carte blanche à L'Écho, Drieu Godefridi, philosophe et essayiste libéral, dit que vous êtes dangereux parce que vous êtes plus écologiste que les Écolos...

    C'est un extrémiste. Moi, je suis un libéral qui veut que demain, d'autres libéraux puissent encore vivre. Pour cela, il y a des décisions radicales à prendre afin de protéger l'environnement et la planète. Refuser cela, c'est réagir en aveugle, en idéologue ou en égoïste. Je ne suis ni aveugle, ni idéologue, ni égoïste alors oui, je dis que la société doit réconcilier économie et écologie. On a besoin des deux. La Wallonie dont je rêve produit des richesses, mais pas en écrasant et en rasant tout. Au fond, ce qu'il a dit là est un des plus beaux compliments qu'on puisse me faire.

Crève-cœur

  • Aux élections communales d'octobre, vous ne serez pas tête de liste à Frasnes-lez-Anvaing. À regret ?

    Oh oui ! C'est une décision qui me fait mal au ventre. J'ai eu énormément de plaisir à m'occuper d'une commune que, je crois, j'ai bien fait grandir. Mais je ne veux pas tromper les Frasnois, je ne l'ai jamais fait. Je n'aurai pas la disponibilité nécessaire pour mener une campagne électorale. La Wallonie n'a pas trois mois à perdre : des dossiers chauds arrivent et il faudra prendre des décisions, pas toujours populaires. Je ne peux pas être soumis à la pression de la démocratie locale

  • Vous pousserez la liste. Si vous faites le plus de voix ?

    Alors j'endosserai le titre de bourgmestre, la loi est la loi. Mais je serai bourgmestre en titre seulement.

CONTEXTE

Gouvernement wallon

Quelques mois pour convaincre

Le MR était dans l'opposition à la Région wallonne depuis 2004 quand, le 19 juin, le président du CDH Benoît Lutgen a retiré la prise des gouvernements francophones. À Bruxelles et à la Fédération, les majorités n'ont pas changé. En Wallonie, les libéraux ont remplacé les socialistes dans une coalition MR-CDH, en place jusqu'aux élections régionales, fédérales et européennes de mai 2019.

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